Un colloque organisé le 3 mai 2016 par la Fondation Jean Jaurès pour éclairer le présent à la lecture de ce qui s’est passé hier et de ce qui se passe ailleurs.
Il s'est clos par une allocution François Hollande, président de la République : "Ici et maintenant".
Le mois de mai, en France, résonne dans l’histoire de la gauche. L’actualité, chaque jour en Europe, questionne la gauche là où elle gouverne.
Que nous apprend l’analyse historique sur les débats qui ont traversé la gauche lorsqu’elle a exercé le pouvoir et sur les leçons qu’elle en a tirées ?
Que nous apporte l’analyse comparative sur les alliances politiques qui sont nouées et les politiques publiques qui sont conduites là où, aujourd’hui en Europe, les sociaux-démocrates gouvernent ?
Comment s’inscrit, dans cette perspective historique et comparative, l’action engagée en France depuis 2012 ?
Pour y répondre, Thierry Pech, Alain Bergounioux, Anne-Laure Ollivier, Jean-Noël Jeanneney, Massimo D'Alema, Ania Skrzypek, Marc Lazar, Ernst Hillebrand, Christophe Sente et Gilles Finchelstein ont livré leurs analyses. Vous pouvez les retrouver en vidéos sur le site de la Fondation Jean Jaurès, organisme associé au Parti Socialiste.
Discours de François Hollande, Paris – mardi 3 mai 2016
Monsieur le Premier ministre, cher Manuel VALLS que je retrouve ici avec plaisir,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Présidents des fondations à l’initiative de ce colloque,
Mesdames et Messieurs,
Vous n’avez pas choisi cette date par hasard, j’en ai bien conscience, elle correspond au 80ème anniversaire de l’avènement du Front populaire, 35 ans aussi après la victoire de François MITTERRAND en 1981, 20 ans ou presque après le succès de Lionel JOSPIN aux législatives de 1997 et quatre ans après mon élection. Autant d’anniversaires, heureux pour certains, je le sais, malheureux peut-être pour d’autres, mais des dates qui, d’une certaine façon, sont dans l’Histoire.
Voilà ce qui permet et je crois que c’était l’intention - Gilles FINCHELSTEIN y est revenu - de faire des comparaisons utiles dans le temps, dans l’espace et de tirer des leçons pour aujourd'hui. Je ne m’aventurerai pas sur le terrain de savoir si le Gouvernement français est le plus à gauche d’Europe et même du monde, je ne voudrais vexer personne ou surtout n’inquiéter personne.
C’est souvent une réflexion que l’on a fait durant les périodes où précisément la Gauche française a été au pouvoir. Elle a dirigé la France à plusieurs reprises sous trois République et rien que sous la 5e, c’est la 4ème législature. L’œuvre transformatrice est impressionnante et elle n’est d’ailleurs pas autant discutée qu’il y paraît. La preuve, c’est qu’une grande partie de ce qui a été fait dans cette Histoire n’a jamais été défait.
Puis, il y une donnée qui unit l’ensemble de ces périodes, pourtant dans des circonstances très différentes, c’est que jamais la Gauche n’a été appelée à la direction du pays sans qu’il ait été lui-même saisi de grandes difficultés intérieures ou extérieures et parfois par les deux.
La Gauche n’a jamais accédé au pouvoir par une mer de tranquillité, sous un ciel de sérénité et par temps calme et c’est parce la Nation vit des épreuves qu’elle y arrive, la Gauche au pouvoir. C’est parce que face aux épreuves les autres n’y arrivent pas, qu’elle y parvient. Ainsi si on regarde l’Histoire, c’est dans une France plongée dans une grave crise économique, dans une Europe déjà à feu et à sang que se constitue le Front populaire. Si en 1981, bien plus tard, la France choisit l’alternance en portant François MITTERRAND à la Présidence de la République, c’est parce qu’elle est profondément marquée, bousculée même par deux chocs pétroliers qui ont dégradé la balance commerciale, provoqué une montée du chômage et porté l’inflation à plus de 15 %.
Plus près de nous, j’ai à l’esprit la situation économique et budgétaire de 1997, avec un déficit très loin du seuil requis pour être au rendez-vous de la monnaie unique. Le Gouvernement d’alors avait élaboré un plan d’austérité et suggéré au Président de la République de l’époque de dissoudre l’Assemblée nationale en vue de sa mise en œuvre. C’est ainsi que la Gauche, autour de Lionel JOSPIN, est arrivée aux responsabilités.
Cinq ans plus tard, son Gouvernement avait pourtant réussi à introduire l’euro dans des conditions qui étaient précisément celles qui avaient été exigées, selon l’agenda voulu et sans l’austérité prévue. Ainsi, ce n’est jamais parce que la Gauche est au pouvoir que c’est difficile, c’est parce que c’est difficile que la Gauche est au pouvoir.
Léon BLUM le savait, il connaissait le prix de l’exercice du pouvoir, longtemps il avait essayé d’en dissuader, y compris ses propres amis, mais il savait qu’arrive un moment où l’exercice lucide et courageux du pouvoir s’impose. Voici ce qu’il exprimait le 10 mai 1936 : « Je ne viens pas ici en vous disant : éloignez de moi ce calice, je n’ai pas voulu cela, je n’ai pas demandé cela » au sujet du pouvoir. « Si, si, j’ai demandé cela » pour gouverner la France. Telle est la continuité de l’Histoire de la Gauche du Gouvernement : ne pas fuir devant l’adversité, ne pas céder devant elle, ne pas craindre le procès, le même inscrit toujours par les mêmes, celui de la compromission avec un système qu’il faudrait toujours dénoncer pour ne pas avoir à le changer.
Relever le défi, tenter de réussir là où d’autres ont échoué, c’est l’honneur d’un Gouvernement de Gauche, tenir bon au point que les réformes combattues lors de leur mise en œuvre deviennent le plus souvent celles du pays tout entier, quelques années plus tard. C’est ainsi que l’on reconnaît les grandes lois de la République, ces lois que d’autres voulaient abroger et qu’ils ont fini, le temps venant, par garder.
Au pouvoir, je vous en fais la confession, il n’y a pas plus de calice qu’il n’y a de délice. Il y a simplement une exigence qui s’appelle le progrès. S’il y a un fil rouge qui relie toutes les périodes où la Gauche a gouverné, c’est bien celui-là. Je ne vais pas ici dresser un inventaire mais rendre justice à une constance réformatrice, qu’il s’agisse de la laïcité de 1905, des congés payés, des conventions collectives de 1936, de l’abolition de la peine de mort, des lois de décentralisation, de la retraite à 60 ans, après 1981, de la CSG, du RMI et après 1988, de la l’APA, la CMU, ou des 35 heures entre 1997 et 2002, la Gauche écrit son action autant qu’elle l’inscrit dans la mémoire collective.La Gauche n’agit pas simplement pour aujourd'hui mais pour demain. Mais la réalité qu’elle affronte ne se réduit pas comme à d’autres périodes au mur de l’argent, à la finance, aux disciplines budgétaires ou à la mondialisation, ce qu’elle découvre à chaque période où elle est amenée à servir le pays, c’est que l’Histoire est tragique et elle répugne à s’y préparer et même à concevoir que l’Histoire peut être tragique. Parce que la Gauche rêve d’harmonie, de concorde, de paix et elle doit pourtant être prête à affronter l’imprévisible comme l’effroyable, c'est-à-dire les guerres, le terrorisme, les conflits, tout ce qui hélas fait que le monde est celui que nous connaissons et que nous voulons changer.
Alors dans ces périodes là ou précisément la Gauche est aux responsabilités, elle doit avoir aussi le courage d’accomplir sa mission sans trembler et d’utiliser la force pour préserver la paix et d’agir pour la liberté avec les armes du droit. Elle sait que si elle s’y dérobe, c’est arrivé en 1936 face à la guerre d’Espagne ou si elle se perd, c’est arrivé en 1956 avec la guerre d’Algérie, elle est pour longtemps plongée dans le remord, bien plus que dans le regret.
Elle doit, à chaque fois, prendre des décisions difficiles, assumer des responsabilités graves, et parce qu’elle est la France, être en avance même, par rapport à d’autres.
Cette réalité, celle de l’action, cette grandeur aussi, celle de la responsabilité, constitue pourtant un indispensable ressort. Mais je le sais, pour beaucoup la Gauche n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle se conjugue au passé. On mythifie, le temps venu, ses avancées, sans penser à les revendiquer, à les valoriser, quand il est encore possible de poursuivre dans la durée. Curieux comportement, d’être toujours dans une forme de nostalgie par rapport à l’Histoire et jamais dans la volonté de conquête par rapport à l’avenir. C’est d’ailleurs une formule qui n’est pas propre à la Gauche, on se souvient que la République était belle sous l’Empire, la Gauche est souvent belle, ravissante même, sous la droite, mais où est-elle, que fait-elle, que produit-elle ?
Alors, si on regarde les grandes périodes où la Gauche a gouverné, elle s’est toujours fixé quatre objectifs. Le premier, élargir la démocratie, la démocratie politique, nous l’avons fait à toutes époques, encore récemment, la parité, le non-cumul des mandats, la transparence, l’indépendance de la justice, la démocratie locale, avec les grandes lois de décentralisation de 1982, complétées par celles de 1988, depuis 2012, la réforme territoriale. La démocratie sociale, j’évoquais les conventions collectives de 1936, mais aussi le paritarisme pour la question des régimes sociaux, au lendemain de la guerre, les lois Auroux, en 1982. Dans le même mouvement, depuis 2012, la Parlement a inscrit plusieurs accords nationaux interprofessionnels, modernisé le dialogue social, une loi, dite loi REBSAMEN, l’a fait l’année dernière et aujourd'hui le projet de loi présenté par Myriam EL KHOMRI vise à donner une plus large place au dialogue social dans le cadre des entreprises. Démocratie politique, démocratie sociale, démocratie également territoriale, voilà un point fixe que la Gauche poursuit.
Ensuite, la justice. Justice fiscale, de l’impôt sur le revenu, grande conquête du début du 20e siècle, jusqu’à l’impôt sur la fortune, la création de la CSG, pour le financement de la Sécurité sociale, l’imposition des revenus du capital comme ceux du travail depuis 2012. Justice sociale, avec des avancées pour les plus modestes et la construction, pièce par pièce, d’un Etat social qui doit à chaque fois être revisité. Justice territoriale avec les politiques de la ville ou le soutien aux services publics dans la ruralité.
L’égalité c’est aussi ce qui est toujours poursuivi par les Gouvernements de progrès, l’Ecole de la République. En 1936 c’était l’école pour tous, Jean ZAY avait donné son nom, en 2016 c’est la réussite pour tous et à chaque étape, ce sont des Gouvernements de Gauche qui ont démocratisé, rénové, créé des postes, revalorisé aussi, la carrière des enseignants, avec aussi une dimension qui est celle de la laïcité. Encore aujourd'hui, dans chaque établissement scolaire, la Charte de la laïcité en rappelle les principes et un enseignement civique obligatoire est désormais dispensé.
Il y a un dernier point, une dernière constante historique, c’est la modernisation du pays. La Gauche ne s’est jamais dérobée devant cette exigence. Celle qui au début des années 1980 a restructuré les grandes industries c’est la gauche de Pierre MAUROY, fait le choix de l’Europe monétaire, c’est Jacques DELORS, vaincu l’inflation dans les années 1990 c’est Pierre BEREGOVOY, rétabli les comptes publics et sociaux, c’est Lionel JOSPIN. La Gauche a très tôt compris, malgré les idées reçues, que pour répartir il fallait produire et que le progrès c’est une volonté, une résolution, une patience, celle qui rythme le changement, en prenant en compte le temps et le réel. Plus encore aujourd’hui à l’âge de la mondialisation et de l’information en continu, les évolutions essentielles se gagnent par des réformes et des réformes graduelles. Il n’y a ni table rase, ni ligne d’arrivée, il y a un mouvement constant, persévérant.
L’énergie qu’il faut y mettre c’est le compromis, je n’ose pas dire la synthèse, le mot est galvaudé, à tort. Le compromis est dans la fonction même que j’exerce et que le Premier ministre doit également poursuivre. La direction c’est l’intérêt général et ce que j’ai engagé depuis 2012 ne déroge pas à ces principes, à ces engagements, à ces valeurs, pas davantage à cette leçon de l’Histoire qui veut que gouverner c’est agir, agir juste, agir vrai, agir pleinement, agir durablement. Avec toujours deux questions, celles que Gilles FINCHELSTEIN a posées, qui reviennent comme des antiennes : avons-nous fait tout ce qui a été dit, écrit ? Hier c’étaient les 110 propositions, aujourd'hui les 60 engagements, en termes comptable nous avions pris moins de risque, mais la politique ce n’est pas une arithmétique, on peut faire tous les engagements, les accomplir et pour autant ne pas créer d’adhésion. Le premier devoir d’un responsable c’est donc néanmoins de respecter ses promesses et je suis prêt à cet exercice, mais on jugera toujours plus importante celle qui n’a pas été réalisée plutôt que toutes les autres qui étaient considérées, j’imagine comme des formalités, c’est la règle du genre. Pour celles et ceux qui s’abreuvent donc aux 60 engagements et je les en remercie, je veux les rassurer, pour ces promesses qui n’ont pas été encore satisfaites, il reste encore un an pour y parvenir.
Il y a une autre interpellation, plus insistante encore, selon laquelle nous n’aurions pas dit tout ce qui allait être fait après, comme si le monde à traiter était figé, s’était arrêté le jour même de l’élection, comme s’il n’exigeait pas une adaptation permanente, comme si les circonstances ne justifiaient pas aussi que nous puissions agir avec d’autres moyens, d’autres formules que celles qui avaient pu être imaginées.
Alors c’est vrai, je le concède, la crise de la zone euro par exemple, a duré plus que je ne l’avais imaginé en 2012 et il a fallu s’y mettre et s’y remettre, à plusieurs reprises pour éviter son éclatement. C’était là la situation de 2012, avec déjà la Grèce, mais aussi d’autres pays, le Portugal, l’Irlande et même l’Espagne qui était frappés par une crise bancaire. De la même manière il est tout aussi exact que les prévisions de croissance établies lors de mon élection n’ont été nulle part vérifiées, pas plus en France que dans les autres pays européens et que des épreuves ont surgi, ont bousculé même nos plans. Que ce soit à l’extérieur avec les guerres au Mali, en Irak, en Syrie, que ce soit à l’intérieur avec le terrorisme qui a d’ailleurs exigé un effort budgétaire beaucoup plus conséquent en faveur de notre défense et de nos forces de sécurité et appelé également le Parlement à voter des législations pour faire face à la menace. Mais je ne m’étais pas trompé sur le diagnostic, j’en avais prévenu les Français, il fallait d’abord redresser pour ensuite redistribuer. Je vois même maintenant certains qui nous reprochent de le faire, de redistribuer comme si nous devrions nous imposer un redressement qui serait sans fin. Le redressement d’ailleurs qu’ils n’avaient pas accompli avant nous, mais il était de notre devoir de redresser d’abord pour redistribuer ensuite, et avec maîtrise, et avec responsabilité.
Nous avons pris la direction d’une France accablée de déficits : déficits sociaux, déficits publics, déficits commerciaux, une France qui avait vu sa dette publique progresser de 600 milliards d’euros. Cela ne dit pas grand-chose à grand monde, 600 milliards d’euros, c’est 30 % de la richesse nationale de plus en 5 ans, cette dette publique étant passée de 60 % du PIB à 90 %. Mais le plus grave, c’est vrai, n’avait pas été suffisamment dit, c'est-à-dire la dégradation de la compétitivité de l’économie, la perte de nos positions sur les marchés étrangers, l’affaiblissement de notre industrie. Nous en avions d’ailleurs un indice avec la multiplication des plans sociaux qui nous ont saisis dès l’été 2012. Alors, il nous a fallu moderniser le pays pour lui assurer sa place dans la mondialisation.
Nous avons donné à nos entreprises les moyens nécessaires pour assurer leur développement, la Banque publique d’investissement, le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le Pacte de responsabilité, l’appui aux PME, les plans de la France industrielle, la French Tech, tout cela permet aujourd'hui à nos entreprises, qui ont retrouvé pour l'essentiel les marges d'avant la crise, d'investir, d'innover, d'exporter et d’embaucher. Ce choix, je l'avais présenté dès novembre 2012 avec Jean-Marc AYRAULT, non pas comme je ne sais quel cadeau accordé au patronat, mais comme une politique en faveur des travailleurs et des entrepreneurs, parce que je ne distingue pas leur sort, je ne les oppose pas entre eux. Nous devons faire en sorte qu'ils trouvent leur compte les uns et les autres. Nous recueillons les premiers fruits, la croissance revient, la consommation repart, l'investissement redémarre, les logements se construisent avec encore davantage de production, tant mieux, l'économie crée des emplois. Le mérite en revient aux Français, ce sont eux qui ont fait les efforts qui ont été accomplis. Mais dans la bataille contre le chômage tout se joue maintenant. Jamais je ne dirai qu'en la matière nous avons tout essayé et nous avons dès le début de l'année, après avoir déjà tant fait, introduit le dispositif Embauche PME. Au moment où je m'exprime, 250 000 contrats ont été signés, dont les deux tiers en contrats à durée indéterminée et il y a un demi-million de formations pour les demandeurs d'emploi qui sont proposées par l'Etat avec les régions et c'est le sens des discussions qui ont été engagées par le Premier ministre.
Moderniser, ce n'est pas simplement redresser l'économie, c'est aussi rééquilibrer les comptes, le déficit public se situera en dessous de 3 % l'année prochaine et nous l’avons fait en maîtrisant la dépense sans jamais renoncer à nos priorités. Priorité d'abord de l'école, de l'école de la République, son budget est le premier de l’Etat. 60 000 postes seront effectivement créés d'ici la fin du quinquennat. Je l’ai voulu, les Gouvernements ont poursuivi cet objectif avec les ministres qui en ont eu la charge, je sais qu’il y a aujourd'hui des questions qui se posent sur la refondation de l'école. La refondation de l'école ce n'est pas la priorité du quinquennat, c'est la priorité de la France. Il n’y aura pas de réussite de la France sans la réussite de son école, il n'y aura pas de mobilisation possible pour le pays, face aux menaces qu'il connaît, s'il n’y a pas une école qui assure un haut niveau de connaissance, la réduction des inégalités et la transmission des valeurs de la République. C'est la raison pour laquelle nous devons faire confiance aux enseignants, faire confiance à l'école de la République et la meilleure preuve ce n'est pas simplement en en revalorisant les traitements, c'est en faisant en sorte, là aussi, que nous poursuivions les réformes pédagogiques indispensables pour l'école de la République.
Moderniser c’est aussi anticiper. La transition énergétique, en France, votée par le Parlement, a permis d'être exemplaire au moment où nous nous sommes rassemblés, les chefs d'Etat et de Gouvernement, c'était après les attentats du 13 novembre à Paris, pour signer l'accord sur la lutte contre le réchauffement climatique. Si nous avons pu être fiers, légitimement fiers, d'abord de faire cette réunion à Paris, certains nous le déconseillaient, nous disaient que c'était peut-être prendre un risque et qu'il valait mieux renoncer. Si nous avions renoncé, c’eût été une forme de capitulation face au terrorisme et surtout, il n'y aurait pas eu l'accord de Paris. Accord de Paris que nous devons maintenant transcrire dans notre propre droit, droit européen et que nous devons aussi traduire à travers nos lois, loi sur la transition énergétique, loi sur la biodiversité, parce que là aussi, ce n’est pas simplement pour l'Histoire, c'est pour l'avenir.
Nous aurons à revendiquer ce que nous avons fait, quand j'en vois déjà qui veulent abroger, annuler, abandonner. Cette transition énergétique écologique est au cœur de ce que finalement nous portons, sans le savoir le plus souvent et sans l'avoir suffisamment assumé dans le passé. Mais il s'agit aussi d'adapter notre économie au numérique, à l'économie collaborative, sociale, solidaire et là aussi nous avons dégagé des investissements, des financements et nous avons reconnu cette économie-là, ces acteurs, ces salariés, quelquefois dans des statuts qui méritent d'être corrigés.
Et puis nous avons poursuivi l'œuvre de réforme territoriale. Là aussi, qu’avions-nous voulu tenter ce que d'autres avaient toujours échoué à faire : 13 régions au lieu de 22, je n’en connais pas d'ailleurs, à la tête de ces 13 régions, qui me demandent de revenir aux précédentes. Nous avons également bâti des métropoles à taille européenne, permis le Grand Paris, renforcé l'intercommunalité dans le respect des communes, relancé la politique de la ville, assuré aux quartiers les plus pauvres une solidarité et permis aux territoires ruraux de ne pas se replier sur un passé qui est désormais révolu.
Moderniser le pays c'est aussi créer de nouveaux droits, droit au mariage pour les couples de même sexe, droit à une fin de vie digne et apaisée, droit à l'oubli pour les personnes atteintes d'une maladie grave, droit à la protection de ses données personnelles sur Internet, droit à l'IVG entièrement anonyme et gratuit, droit aux actions de groupe pour dénoncer les discriminations, droit aussi à pouvoir lutter contre la vie chère. La Gauche c'est toujours des droits nouveaux, des droits pour tous, des droits pour vivre mieux.
Alors, se reposent également d'autres questions. Avons-nous renoncé à la réforme fiscale ? La réforme fiscale est, si je puis dire, dans les gènes de la Gauche, au point que parfois elle finit par inquiéter, mais c'est l'idée de la justice, c'est l'idée du progrès, cela ne veut pas dire augmenter les impôts. Souvent, d'ailleurs, ceux qui sont contre la réforme fiscale, sont les plus grands propagandistes de la hausse des prélèvements et souvent les plus conservateurs ou les plus libéraux sont ceux qui augmentent les prélèvements, mais des plus modestes. Qu’avons-nous fait en cette matière ? Revenus du capital taxés comme les revenus du travail, création de nouvelles tranches d'imposition pour les hauts revenus, les niches fiscales plafonnées, le prélèvement à la source engagé, des baisses d'impôts depuis 2014 qui ont concerné 12 millions de contribuables et la prime d'activité qui touche 3 millions de Français. Je sais que beaucoup de ceux-là avaient pu être concernés par des dispositions fiscales ou de la majorité précédente, ou même de la nôtre, il était donc de notre devoir de leur redonner ce qu'ils avaient acquitté pour le redressement du pays et en fonction des marges, et seulement en fonction des marges dont nous pourrons disposer, il conviendra de poursuivre cette politique de réforme, de justice et de baisse des prélèvements pour les Français les plus modestes.
Deuxième question, avons-nous renoncé à maîtriser la finance ? La finance, j'avais dit ce qu'il fallait en dire lors du discours du Bourget, cette finance qui avait provoqué la crise des subprimes, qui avait déstabilisé les économies, qui avait plongé beaucoup de pays dans la récession. Depuis 2012, pas seule, la France a agi pour introduire l'Union bancaire européenne. Aujourd'hui les dépôts des épargnants sont entièrement protégés en cas de nouvelle crise financière, les banques ont été mises à contribution pour nous assurer que ce ne sera pas le contribuable qui sera sollicité. Notre pays a voté une loi de séparation dans les établissements financiers pour distinguer les activités spéculatives des activités de dépôt, nous avons plafonné les bonus, les rémunérations variables, il me semble qu'il y a encore à faire. Partout, au G20, au sein de l'OCDE, en Europe, notre pays est à l'initiative pour lutter contre la fraude fiscale. Nous avons agi, pas seuls, mais nous avons permis qu'il y ait maintenant l'échange automatique d'informations entre les administrations fiscales et nous avons fait reculer le secret bancaire. Demain, avec une nouvelle loi, nous irons encore plus loin, y compris pour protéger les lanceurs d'alerte. Alors c'était aussi la responsabilité de la France que d'agir au niveau européen, au niveau mondial et ici, au sein de nos propres frontières, pour maîtriser la finance.
Est-ce que dans cette politique de redressement, notre modèle social a été entamé ? Il a été bien plus que préservé, aucun droit n'a été amoindri, aucune protection n'a été affaiblie. Ce modèle social a même été élargi, un demi-million de travailleurs sont partis en retraite à 60 ans au titre des carrières longues, la pénibilité est dorénavant prise en compte dans le calcul des droits à pension, la complémentaire santé, le tiers payant, les garanties contre les impayés de pensions alimentaires vont se généraliser. Les minima sociaux, les prestations familiales, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation personnelle d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes ont vu leur pouvoir d'achat progresser.
Je reprends le questionnement qui m'était posé. Dans quel pays d'Europe y a-t-il eu autant de progrès réalisés depuis 4 ans ? Dans quel pays d'Europe la protection sociale a-t-elle été à ce point élargie ? Dans quel pays d'Europe a-t-il été possible d'accorder de nouveaux droits alors qu'il était demandé des efforts pour que les comptes publics puissent être restaurés ? Je ne dis pas qu’en France on vit mieux qu'ailleurs, il y a encore beaucoup à faire, mais je dis qu’on ne peut pas entendre une complainte qui laisserait penser, surtout au sein de la Gauche, que nous n’aurions pas été à la hauteur de nos responsabilités, que nous aurions mis en cause des principes fondamentaux de notre protection sociale, non. Tout n'a pas été sauvegardé comme s'il fallait mettre sous cloche notre modèle social, nous l’avons fait respirer, nous l’avons alimenté, nous l’avons élargi, nous l'avons renouvelé. Car c'est cela qui est demandé à la Gauche, non pas de gérer des acquis comme on gère une rente, mais de faire en sorte qu'on puisse donner à des générations nouvelles l'occasion d'espérer vivre mieux.
Des droits nouveaux ont été instaurés : droit individuel à la formation, droits rechargeables pour l'assurance chômage, bientôt le compte personnel d'activité. Avons-nous sacrifié la jeunesse, puisque j’en avais fait la priorité du quinquennat ? C’est pour elle que nous avons assaini les comptes publics. Moins de dettes pour demain, c’est d’abord moins de fardeaux pour les générations futures. Refonder l’école, investir dans l’écologie, le numérique, renforcer les libertés, c’est pour elle que nous avons fait en sorte qu’il y ait plus d’étudiants, qui puissent accéder à l’université, plus de bourses qui puissent être distribuées - un étudiant sur trois est boursier - plus de stages qui puissent être rémunérés, plus d’emplois d’avenir qui puissent être créés, plus de Garantie jeunes désormais avec ce qui est prévu dans la loi sur le Travail et la caution solidaire pour le logement. Oui, je le réaffirme ici, même si c'est dur pour la jeunesse, mais cela a toujours été dur pour chaque génération, encore plus dur aujourd'hui, c'est pour la jeunesse que nous devons agir et continuer à agir.
Notre devoir, c'est aussi de protéger les Français. En janvier, en novembre 2015, la France a été frappée par le terrorisme islamiste, une organisation tentaculaire, Daech, a ciblé notre pays, pas seulement notre pays : la Belgique, la Turquie, la Tunisie, la Côte d'Ivoire, le Pakistan, l'Indonésie, tant d'autres, aucun continent, aucun peuple n'est à l'abri. Voilà que surgit la tragédie et l'épreuve, nous sommes aux responsabilités du pays, nous sommes face à ce crime odieux, à cette attaque, à cet acte de guerre et nous devons faire face parce que nous sommes la France, nous devons agir en fonction de nos valeurs, de nos convictions, de nos engagements mais nous devons agir.
La responsabilité qui était la mienne, qui est la mienne, avec le Premier ministre et les membres du Gouvernement, c'est aussi de penser aux Français qui ne jugent plus la Gauche, la droite mais simplement ce qui va être fait. C'est également d'assurer l'unité nationale dans ces moments exceptionnellement graves où d'un seul coup, on prend conscience que, face à l'attaque, tout peut se disloquer, se disperser, se défaire, se décomposer. La réaction du peuple français a été digne et forte. Les marches républicaines du 11 janvier, les foules qui étaient recueillies après le 13 novembre resteront gravées dans toutes nos mémoires.
Le risque majeur, c'est la division de la communauté nationale, c'est d'ailleurs ce que notre ennemi veut inoculer comme poison, la haine et la peur, la montée dans notre pays d’un islam radical qui nourrit à l'encontre de la République une hostilité farouche doit être clairement identifiée et fermement endiguée. Mais l'augmentation des actes violents à l'égard de nos compatriotes musulmans qui aiment profondément la France, leur pays, doit également nous alarmer et nous devons nous tenir à côté d’eux dans cette épreuve. Dans ce moment, notre responsabilité, je l'ai dit, c'est de rassembler les Français, dans la diversité de leurs origines, de leurs croyances, de leur parcours, de leurs opinions.
C'est aussi de les protéger contre les provocations, les stigmatisations, les propagandes djihadistes et contre toute menace à l'égard de notre sécurité. C’est pourquoi, alors que ce n'était pas prévu, que ce n'était pas dans les 60 engagements - même si j'avais, forcément après ce qui s'était produit, à Toulouse, à Montauban, évoqué les risques du terrorisme - j'ai dû, avec Manuel VALLS et les ministres concernés, prévoir une augmentation des effectifs, des moyens des forces de l'ordre, des services de renseignements. J'ai dû proclamer l'état d'urgence, ce n'était pas prévu dans le programme, l'état d'urgence, même s’il y avait surtout un état d'urgence économique et social qui existait déjà dès 2012.
Le Parlement – et j’en remercie tous ceux qui y ont contribué – a prolongé et permis de prévenir des actions criminelles grâce aux dispositifs qui ont été organisés après les attentats. Aujourd'hui encore, nous devons agir et ce combat sera long, mais il ne sera gagné que si nous restons nous-mêmes et ensemble. C'est une exigence et c'est aussi une méthode, c'est la nôtre. Etre nous-mêmes, ne pas nous perdre, ne pas nous dissoudre, ne pas de nous séparer, ne pas nous opposer, être ensemble, c'est la responsabilité que nous avons dû exercer.
Elle n'est pas nouvelle, j'ai évoqué d'autres périodes de l'Histoire où la Gauche - c’est arrivé aussi à la droite parce que c'est la République qui connaît ces épreuves - a dû, à d'autres moments aussi faire face et comme je l'ai souligné, ou elle a été capable de ce sursaut nécessaire, ou elle s'est perdue. C'était aussi notre devoir pour cette période qui restera historique. Ce que nous construisons, Mesdames et Messieurs, pas à pas, pierre après pierre, c'est un nouveau compromis, un compromis dynamique et juste. Ce compromis est à la fois économique, social, écologique, démocratique. Le compromis, ce n'est pas un subtil équilibre, un entre-deux, un médiocre point moyen. Le compromis, c'est tout l'inverse, c'est une volonté, c'est tenir son axe avec ténacité, suivre son cap avec solidité et convaincre avec sincérité.
Le compromis doit répondre aux mutations de l'économie, aux aspirations nouvelles qui justifient que tout change et que nous-mêmes, nous puissions être capables de changer. La révolution numérique, la question du temps tout au long de la vie, le vieillissement, la liberté donnée à chacune et à chacun d'entreprendre son existence, voilà le compromis que nous devons bâtir. Compromis aussi entre les principes de la démocratie parlementaire et les aspirations à davantage de participation citoyenne sur des grands projets, compromis aussi entre démocratie politique et démocratie sociale.
Compromis pour qu’il puisse y avoir ce mouvement qui est indispensable et en même temps, des règles dans notre République, même si, je vous le concède, nous prenons trop de temps pour décider dans les institutions d'aujourd'hui et qu'il y a comme une forme de lassitude, si nous n’y prenons garde, dans l'opinion par rapport à cette lenteur alors que pour beaucoup de nos concitoyens, tout va vite, y compris les risques, les menaces et les exigences et ce que l'économie entraîne. Il nous faudra revoir ces procédures, ces rythmes et ces modes de décision. Compromis entre la liberté et la protection pour préserver de la peur et également éviter d'assigner à chacun un destin fatal, une reproduction sociale, une assignation, une relégation, comme c'est hélas trop souvent le cas.
Compromis entre les exigences de l'économie de marché et le respect des biens communs, ceux de l'humanité. Compromis entre la souplesse pour les entreprises françaises confrontées à la compétition internationale et les garanties qui sont attendues par les travailleurs face aux risques. Alors c'est le projet qui est examiné aujourd'hui par l'Assemblée nationale. C'est un compromis dynamique et juste, comme tout ce que nous avons fait depuis 2012. Il ne s'en sépare pas, c'est un texte de progrès qui a trouvé plus que son équilibre, qui a trouvé justement le sens qui à un moment a pu lui manquer. Pour les entreprises, il va procurer visibilité et adaptation, elles en ont besoin et notamment pour embaucher. Pour les salariés, ils vont pouvoir disposer, à travers leurs organisations syndicales, d'une capacité accrue d'agir dans le cadre de la négociation collective.
Renforcer le dialogue social au niveau de l'entreprise, ce niveau fait peur à certains, mais pourquoi au niveau de l'entreprise ne serait-il pas possible de définir ce que peut être l'intérêt même des travailleurs et de ceux qui ont la responsabilité de l'entreprise ? A condition que l’on puisse fixer une forme de verrou qui est celui d'un accord majoritaire avec des organisations syndicales représentatives. Qui pourrait laisser penser qu'une organisation syndicale qui a la confiance des salariés dans une entreprise, pourrait prendre la responsabilité d'entamer les droits des travailleurs ? A mon avis, elle ne resterait pas très longtemps majoritaire et même représentative dans l'entreprise considérée.
Donc ce n'est pas une confiance que l'on délègue, c'est une responsabilité que l'on donne aux partenaires sociaux et je pense que cette loi, si elle est votée, va changer profondément, modifier durablement les rapports sociaux dans les entreprises et donc c'est vrai, le syndicalisme français. Il ne m'appartient pas de dire quelle doit être la forme du syndicalisme français, ce que je sais, c'est que nous avons besoin, là aussi pour le compromis, de forces qui représentent les salariés, qui prennent la responsabilité de signer des accords, nous avons besoin de partenaires qui puissent s'engager, j'en connais qui nous disent qu'ils peuvent faire fi de cette représentation, que cela prend trop de temps, qu’il vaut mieux aller tout de suite vers la loi, quelle loi ? Ordonnance, référendum, que sais-je ? Mais s’il n’y a plus ces instances qui représentent les Français dans leur diversité ? Alors quelle sera la forme de la démocratie ?
J'entends aussi – et je respecte cette position – beaucoup de chefs de petites et moyennes entreprises dire qu'ils seraient prêts pour des accords d'entreprise, mais sans avoir besoin d'un mandataire syndical, comme si la venue d'un syndicaliste, - il n’y en a pas autant de toutes sortes dans notre pays, - pourrait créer je ne sais quelle peur pour les intérêts des salariés ou pour les intérêts des entrepreneurs. Je pense que notre pays, s'il veut regarder ce qui se passe ailleurs, - cela arrive à certains, - doit penser qu'il a besoin de ce dialogue social. L'autre avancée majeure pour les salariés, c'est le compte personnel d'activité. Ce compte personnel d'activité, c'est le capital de ceux qui ne disposent que de leur travail, sur des droits attachés à la personne, des droits qui seront garantis par-delà les aléas de carrière, mobilisables au moment souhaité de la vie professionnelle.
Ce sera donc une forme de carte des droits : formation, disponibilité, pour mener à bien une nouvelle qualification ou un projet d'entreprise et d'ici la fin de l'année, je souhaite que sur cette carte des droits, accessible donc à tous les salariés, il soit possible de relever ce défi technologique et social, que chacun puisse à tout moment savoir de quels droits il dispose dans le cadre de ce compte personnel d'activité, qui sera une grande avancée de notre modèle social. Nous ne sommes pas seuls en Europe et il y a toujours cette tentation, nous l'avons connue, d'imaginer que la France seule pourra décider pour l'Europe tout entière, j'ai connu ces débats.
Je me souviens, y compris lors de certaines consultations, que beaucoup de Français voulaient que les Européens soient comme des Français, je vous assure qu'il y a une certaine résistance chez nos partenaires, même s’il y a beaucoup d'admiration à l'égard de notre pays mais ils n'ont pas forcément fait ce choix. Donc nous devons convaincre et c'est ce que nous avons fait depuis 2012, préserver la zone euro, lorsque certains pays considéraient qu’il y avait des Nations qui devaient la quitter, orienter les politiques européennes vers plus de croissance, introduire l'Union bancaire, faire que la Banque centrale européenne puisse avoir une politique de liquidité. Regardez cette situation, aujourd'hui, c'est la France qui défend la Banque centrale européenne, quand, ailleurs, on s'interroge sur la pertinence de ses actions.
Pour nous, la Banque centrale est indépendante et en même temps accommodante, voyez que les deux sont possibles. Grâce à cette politique-là, nous avons pu remettre l'Europe sur le chemin de la croissance, encore insuffisante et cette page-là, est maintenant, - si je puis dire, - tournée. Mais voilà que l'Union européenne affronte des vents contraires, la tentation du chacun-pour-soi, on l’a vu dans la gestion de la crise des réfugiés, le risque de la fragmentation, on le voit au moment même où le Royaume-Uni s'interroge sur sa présence en Europe ; il faudra de toute manière, quel que soit le vote des Britanniques pour leur avenir, que nous fassions des propositions pour l'Europe.
Une zone qui devra être plus cohérente, plus solidaire, une gouvernance qui devra également être établie, un Parlement de la zone euro, dans le cadre du Parlement européen, qui pourra disposer d'un pouvoir de contrôle, un budget propre pour la zone euro, qui puisse financer des investissements d'intérêt général, de nouvelles perspectives en matière de numérique, en matière de transition énergétique, pour les pays qui le voudront, une Europe de la défense parce que nous en avons besoin, parce que, ce qui est en jeu, vous l’avez compris, aux Etats-Unis, c'est maintenant de laisser les Européens assumer eux-mêmes une grande part de leur sécurité. La France, depuis longtemps, s'y était préparée, l'Europe doit maintenant s'en convaincre, alors je ferai ces propositions au lendemain du vote du peuple britannique.
De la même manière, nous avons posé des principes dans le cadre de négociations commerciales internationales, je pense aux normes sanitaires, alimentaires, sociales, culturelles, environnementales, jamais nous n'accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture, pour la réciprocité, pour l'accès aux marchés publics, voilà pourquoi, à ce stade, la France dit non dans l'étape que nous connaissons des négociations commerciales internationales. Nous sommes pour les échanges, mais pas le libre-échange sans règle, le libéralisme est d'ailleurs une idée du 19ème siècle, dont les ressorts, le profit maximal, l'exploitation des ressources naturelles, la concurrence comme loi de la ville ne permet pas à la planète d'être durable ni même viable.
Je pense que cette idée a trouvé ses limites, en revanche, ce qui nous menace au début du 21ème siècle, c'est la résurgence du nationalisme, il se nourrit des excès de la mondialisation, il provoque le repli, le refus, le rejet, la fermeture des frontières, la sortie de l'euro et en fait de l'Europe, l'exaltation de l'identité nationale pour mieux écarter ceux qui n'y auraient pas profondément leurs racines, cette tentation parcourt, hélas, toute l'Europe. Elle a, dans chaque pays, son parti, aucun ne veut fréquenter l'autre, allez savoir pourquoi, mais tous se ressemblent et se rassemblent avec les mêmes dénonciations, la présence de l'islam et l'existence même de l'Union européenne.
Ainsi, ce qui est en cause, c'est bien plus que l'Europe, c'est la démocratie, c'est le progrès et la France doit être en première ligne, parce qu'elle y est attendue, parce qu'elle est espérée et parce que je vais vous en faire la confidence, la France est aimée, bien plus qu'elle ne s’aime elle-même.
Cela m’a frappé dans tous les déplacements que j’ai pu multiplier – et Manuel VALLS revient aussi d’Australie et de Nouvelle-Zélande, il a pu en faire également la vérification –, après les épreuves qui nous ont frappés, une image revient lorsqu’on parle de la France. L’image, c’est notre mode de vie ou plutôt notre modèle de vie. Il ne s’agit pas simplement de notre histoire, des idéaux que nous portons par héritage, de nos paysages, de la qualité de notre environnement. Non, il s’agit de bien plus que cela, il s’agit de l’idée de la France, de l’âme de la France. Comment la résumer ? On la trouve dans l’amour de la liberté mais aussi dans l’excellence de notre recherche, dans l’ingéniosité de nos entrepreneurs, le savoir-faire de nos ouvriers, la qualité de nos agriculteurs, la vitalité de nos créateurs, de notre culture. Bref, cette forme d’harmonie même si nous en connaissons, nous, ici les fragilités.
C’est cette conception singulière aussi de l’égalité que nous portons, de la chance que nous voulons donner à chacun, à chaque âge de la vie, quelle que soit sa condition, son origine, de pouvoir réussir. Cela s’appelle sans doute la République. La République, ce modèle que nous devons sans cesse réinventer pour l’adapter aux temps qui viennent. Alors, bien sûr, le chemin que je propose ou que nous avons fait ensemble, finalement, a contribué à la marche, ce chemin-là, ce chemin n’est pas unique, il y a toujours plusieurs voies, il y a toujours plusieurs solutions. Mais avant de s’y engager, mieux vaut connaître l’itinéraire et plus encore la destination.
Dans la responsabilité qui est la mienne, j’affirme que l’immobilisme n’est pas permis à la France. Ne pas réformer, ne pas avancer, ne pas prendre de risques, se dire qu’en ne changeant rien ici, les autres finiront par nous attendre, ce n’est pas un chemin, c’est un surplace, pire un enlisement au nom d’une illusion, c’est que les acquis le seraient pour toujours. Non, les acquis se méritent et se conquièrent à chaque étape. Être en retrait, c’est battre en retraite. La nostalgie qui peut parfois saisir un certain nombre de nos concitoyens, c’est un renoncement. J’en connais d’autres qui, faute d’imagination, veulent emprunter à d’autres pays la clé de la réussite. Moi, je respecte beaucoup nos voisins qui ont leurs traditions, leurs spécificités et leurs succès. Ils peuvent parfois nous précéder dans beaucoup de domaines et nous devons travailler avec eux et agir encore plus vite. Mais nous n’avons pas besoin de copier ni les mini jobs des uns, ni l’âge de la retraite des autres.
Je vous l’assure, la France peut réussir sans avoir à démanteler les services publics, précariser les salariés, réduire les impôts des plus favorisés et l’alignement est souvent un abaissement. Je sais aussi qu’il y a celles et ceux qui veulent tout défaire, dont le seul projet est d’annuler tout ce que nous avons fait. Cela leur prendra du temps car nous avons fait beaucoup. Et en même temps, je suis sûr que si d’aventure – car ce serait une aventure –, ils pouvaient en avoir la responsabilité, il y a bon nombre de réformes que nous avons accomplies qui resteront pour toujours parce que c’est effectivement ce qui s’est passé dans l’Histoire, ce qui s’est produit.
Il y en a qui pensent aussi qu’en étant nombreux dans la rue – je ne parle pas d’aujourd’hui mais pour demain ou pour après-demain –, on peut empêcher. Non, on peut parfois freiner, on peut parfois contester à juste raison mais rien ne remplace l’acte de gouverner. On ne change pas le monde, on ne change pas l’Europe, on ne change pas la France en restant à sa place. Quand je dis à sa place, cela vaut pour toutes les places. Il faut que les aspirations qui existent, l’envie de changer le monde, l’idée qu’il est possible de participer à tous niveaux au changement, il faut que cet espoir-là, à un moment, se traduise dans une perspective politique, ce qu’on appelle un débouché politique, un débouché démocratique. Quels que soient les modes de participation – et je les respecte tous –, quelles que soient les formes d’expression, à condition qu’elles ne soient pas violentes car la violence doit être proscrite, il n’y a jamais rien qui remplacera le vote et la démocratie et le suffrage universel.
Alors, Mesdames et Messieurs, j’ai eu cette forme et je la revendique : la France va mieux. Maintenant, chacun a son jugement. Certains disent : « Elle va un peu mieux. » Ce n’est pas ce qu’ils disaient avant. D’autres disent : « La France pourrait aller encore mieux. » J’en suis et je mesure, quand j’affirme que la France va mieux, ce que cela peut à un moment avoir comme douleur pour ceux qui souffrent, endurent et doutent de l’avenir. Je n’ignore rien de leurs conditions, je sais quelles sont leurs attentes et je peux parfois mesurer leur déception par rapport à ce qu’ils pouvaient espérer dans le temps, que nous irions plus vite ou que même eux pourraient aller plus vite. Ce chemin, celui que j’ai ouvert, n’est pas la seule direction mais c’est celui qui permet de moderniser et de protéger et permettre à la France d’aller mieux tout en restant elle-même.
Il y a les prophètes du déclin. J’en connais même qui parlent de décadence, ce sont ceux qui n’ont jamais cru en la France au point de vouloir la punir pour la guérir. Il y a des médecins – heureusement, ils ne sont pas reconnus par le Conseil de l’Ordre – qui en sont à faire des saignées et des purges pour penser que le malade peut guérir alors même qu’il est déjà mort. Donc nous devons, nous, donner confiance à notre pays, faire qu’il croit lui-même en son avenir. Je ne cesse de le rappeler et je le ferai ici, la France est un des rares pays à assurer sa sécurité par elle-même, la France est une nation souveraine qui décide de manière indépendante, la France est un pays qui a une influence très grande dans le monde, dont le rayonnement est apprécié, dont les atouts sont reconnus.
Alors, l’enjeu dans cette période, c’est la cohésion. Nous ne serons grands, forts que si nous sommes dans la cohésion. La cohésion nationale face au risque de séparation, de fragmentation, de division et même de violence. La cohésion sociale parce que nous avons le devoir de donner une chance à chacune et à chacun. La cohésion républicaine parce que nous sommes dépositaires des valeurs dont nous avons hérité, que nous devons transmettre. Voilà, s’il y a un message, s’il y a une leçon qu’il faut garder génération après génération et au-delà des progrès que la Gauche dans son histoire a pu permettre au pays de connaître et de partager, c’est que nous avons le devoir d’assurer la cohésion de notre pays. Alors, avançons sans regret, sans calcul, sans répit et sans savoir, comme le disait JAURÈS, quelle récompense nous sera réservée. La récompense, elle ne sera pas dans l’histoire ; la récompense, elle sera dans l’avenir. Merci.
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