La soif de pouvoir est une constante de la politique. Si elle n’est pas généralisée, on trouve toutefois de nombreux exemples à travers l’histoire de l’Antiquité à nos jours, et même, parfois, dans des environnements proches. Pour conquérir les places, le pouvoir, certaines personnes sont prêtes à tout. L’expression s’utilise le plus souvent au figuré pour décrire l’ambition dévorante de certaines personnes, mais il arrive, aussi, qu’elle soit à prendre de manière littérale. Machiavel disait, ainsi, qu’il est parfois nécessaire de savoir entrer dans le mal. Phrase terrible qui valut à l’auteur une sinistre réputation. On oublie souvent de préciser que Le Prince, dont cette formule est tirée, concerne en réalité un type bien précis de régime politique : les principautés conquises par la force. Mais ce détail n’a pas empêché le mythe Machiavel, incarnation du mal en politique, bien entretenu par l’Eglise catholique, de se diffuser. Cette notion pourrait convenir à Francis Urquhart, le « héros » de la version originale de House of Cards qui est rediffusée par Arte. Tout le monde connaît la version américaine de Netflix qui décrit la quête sanguinolente du pouvoir de Franck Underwood. La version britannique, dont la saison 1 est parue en 1990, suit, elle, Francis Urquhart, chief Whip des conservateurs (sorte de président de groupe parlementaire) à la Chambre des Communes. Le scénario de base est le même. Recalé pour le Gouvernement, malgré un dévouement certain, il fomente une vengeance qui le mènera jusqu’au pouvoir suprême, en n’hésitant pas à commettre des crimes.
La version britannique est plus fine que sa cousine américaine. Le caractère précieux de Francis Urquhart, sa brutalité contenue dans une finesse toute aristocratique, la dimension quasi-incestueuse de sa relation avec la journaliste Mattie Storin, rendent sa manipulation plus effrayante, plus…machiavélique, que dans la série Netflix.
Plus que sur l’actualité, cette série nous fait réfléchir sur la nature humaine, le sens de l’action politique et les moyens pour les démocraties de se protéger d’individus prêts à tout pour arriver au pouvoir. La démocratie, qui substitue à la bataille des épées celles des mots selon la formule de Karl Popper (Swords by Words en Version originale) atténue la violence de la politique. Mais jusqu’à quel point peut-elle protéger de la brutalité, de la violence, voire du mal ? C’est l’une des questions que soulève cette série qui mérite aussi le détour du point de vue cinématographique, notamment pour l'interprétation délicieuse de Ian Richardson et son charme diabolique.
Kevin Alleno
En complément :
→ La violence en politique, Podcast de Patrick Boucheron, historien, Un été avec Machiavel, France Inter, 4 min
→ Le mal en politique, Podcast de Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel, France Inter, 4 minutes
→ La fin ne justifie pas les moyens, podcast de Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel, France Inter, 4 minutes
→ House of Cards, l'originale, Le Point, 17 septembre 2013