Ronan Le Délézir – géographe à l’Université de Bretagne Sud et spécialiste de l’aménagement du territoire – dresse ci-dessous une analyse des évolutions démographiques dans le Morbihan. Il apporte ainsi un éclairage précieux dans la définition des enjeux dont il faut tenir compte pour l’élaboration du projet départemental morbihannais, présenté lors de la réunion sur le projet le 22 février à Auray.
Le territoire peut se définir comme l’espace identifié et construit par un groupe humain, un pays, une ville, un bassin, une région. Il se caractérise davantage par un sentiment d’appartenance, par une communauté de vie et par un projet de développement partagé que par des frontières tangibles. Face à la libéralisation des échanges et au développement des nouvelles techniques de communication, le territoire prend un sens nouveau et devient un enjeu fondamental pour un développement harmonieux.
Une population en forte croissance
Avec une croissance de population plus marquée qu’au niveau régional, la population est estimée à 675 000 habitants en 2004.
Entre 1999 et 2004, le rythme de croissance a été plus soutenu que durant la période 1990-1999 (+4,9 % contre 3,9 %). Avec une progression de 31 000 habitants, le département affiche un taux de progression supérieur à la moyenne régionale (+3,6%). Il se place en tête des quatre départements bretons devant l’Ille et Vilaine (+ 4,4%), les Côtes d’Armor (+ 3,1%) et le Finistère (+ 2,2%).
Cette croissance démographique s’est accompagnée par un phénomène de vieillissement légèrement plus accentué que sur l’ensemble du territoire breton. L’analyse de la répartition par tranche d’âge permet de constater un vieillissement plus marqué dans notre département :
– 23,9% de la population a “plus de 60 ans” (contre 22,3% au niveau régional),
– la part des “moins de 40 ans” a diminué par rapport à 1999 (-1,5 point en 5 ans),
– la part des “60 ans et plus” est un peu supérieure à la proportion régionale. Une hausse du nombre de ménages à l’horizon 2015.
Les différentes projections effectuées par l’Insee nous indiquent que la Bretagne pourrait compter entre 180 et 240 000 ménages de plus qu’en 1999 à l’horizon 2015. L’augmentation du nombre de personnes seules (liée au vieillissement et à l’évolution des comportements sociaux) en lien avec la hausse du nombre de ménages âgés (de 55 à 74 ans) explique en grande partie cette forte évolution. A l’instar de l’Ille et Vilaine, la hausse dans le Morbihan serait également conséquente (près de 17 % contre 15 % sur le plan régional).
De la périubanisation à l’étalement urbain, une nouvelle logique
Les taux de croissance les plus élevés sont nettement situés dans les petites communes, tandis que les grandes villes présentent une croissance ralentie. C’est le schéma inverse du début de l’urbanisation, comme si un cycle se terminait.
Au fil des ans, la croissance urbaine se déplace en fonction de l’évolution des modes de vie (banalisation des déplacements ; 30 minutes du domicile au travail en moyenne), du marché immobilier (foncier et habitat ; les prix ont doublé en dix ans) et de la conjoncture économique. Ainsi, la dynamique de peuplement résulte des multiples adaptations de la population aux contingences socio-économiques.
Les “territoires du nord” se rajeunissent pendant que les territoires littoraux, par les prix prohibitifs de l’immobilier, vieillissent et sont touchés par une ségrégation sociale et générationnelle : aux “territoires du nord”, les services à la petite enfance, les écoles… aux territoires littoraux, les maisons de retraite, les résidences secondaires…
Implacable logique de marché qui conduit des jeunes ménages et les populations précarisées à s’éloigner des lieux d’emploi, à exploser leurs repères, leur identité.
La cohésion territoriale, l’enjeu du lien social
Les effets territoriaux de la mobilité ne se limitent cependant pas à la seule dilatation urbaine. A cela s’ajoute en effet des recompositions plus complexes des liens entre territoires et entre échelles. Au-delà de la seule maîtrise de l’étalement urbain, l’explosion des mobilités exige des acteurs publics l’invention de nouvelles approches et de nouvelles pratiques, pour permettre, du diagnostic à l’action, la prise en compte d’articulations toujours plus complexes entre les territoires.
Le sentiment d’appartenance d’un individu à une collectivité se développe de pair avec la capacité qu’il a de pouvoir exprimer ses besoins, ses attentes, ses suggestions et le sentiment d’être reconnu dans la contribution qu’il peut apporter quelque chose à cette société. C’est bien le “vivre ensemble” qui est au cœur de la problématique.
Pour bien aménager un territoire, il convient également de prendre en compte les court, moyen et long termes, à savoir être capable de réagir rapidement face aux crises, de définir des politiques d’aménagement et d’anticiper les grandes évolutions de notre société. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi mettre en place de bonnes structures de réflexion pour disposer de projets viables, savoir jouer collectif pour que tous les acteurs adhèrent aux projets. Face à cette complexité, il n’y a pas de réponses toutes faites. Seule une subtile alchimie entre acteurs et projets permet d’obtenir de bons résultats, quels que soient les territoires concernés. Il n’est en effet jamais de territoire sans avenir mais seulement des territoires sans projet. La politique n’est pas une science exacte, mais gouverner c’est prévoir.
“Tout le monde veut gouverner, personne ne veut être citoyen. Où est donc la cité ?” – Antoine de Saint-Just (1767-179).