Motion de l’AMF : l’intox des élus de droite
L’association des Maires du Morbihan a transmis à toutes les communes et aux EPCI une motion à faire voter par les conseils contre la réduction des dotations de l’Etat aux collectivités qui va s’étaler jusqu’en 2017. La motion dresse un tableau effrayant de la situation : « nos dotations vont baisser de 30 % ». Cette motion a été adoptée par les instances nationales de l’AMF qui comportent des élus de toutes les tendances ! Mais elle a été bien utilisée par la majorité de droite. Regardons comment a été fabriquée la manœuvre d’intoxication.
Pourquoi réduire les dotations aux collectivités ?
Dans le calcul de la dette du pays et de son déficit (le critère des 3 % de Maastricht), on additionne la dette de l’Etat, la dette de la Sécurité Sociale, et celle des administrations publiques locales. Si donc, il faut réduire la dette globale de l’Etat, comme le gouvernement s’y est engagé, il est nécessaire de réduire tous les postes de dépense. Certains secteurs (justice, police, éducation) sont sanctuarisés, tous les autres doivent contribuer à l’effort : les concours de l’Etat aux Collectivités vont baisser progressivement. La baisse annoncée est de 3,6 milliards par an pour atteindre 11 milliards en 2017. C’est une contrainte forte pour les Collectivités de tous les niveaux, communes et communautés, départements et régions.
En protestant, en réclamant des négociations, l’AMF est bien dans son rôle de lobby, de groupe de pression auprès du gouvernement. Rien de nouveau là-dedans, mais il est évident que dans la perspective des élections sénatoriales (dimanche 28 septembre), de l’élection du futur président de l’AMF et en attendant les échéances de 2015, la majorité de l’Association des Maires de France – à droite ! – fait flèche de tout bois contre la politique gouvernementale.
D’où vient ce chiffre de 30 %?
Pour calculer une proportion, il faut mettre en rapport des données cohérentes. Le texte de la motion proposée dit littéralement : « 30 % de baisse de nos dotations ». Eh bien, prenons la calculette. Si l’on rapporte la baisse qui atteindra 11 milliards d’euros en 2017, au terme d’un effort constant de 3 ans, à l’enveloppe totale des dotations 2014 (ce qu’on appelle l’enveloppe normée) soit 47 milliards d’euros, cela fait 23 %, et pas 30 % ! Même si, par un artifice, on rapporte cette baisse globale à la seule DGF 2014 (40Mds €), cela ne fait encore que 27 %… pas 30 ! L’effort demandé est très important et tous les élus auraient sans doute accepté de mandater leurs représentants à l’AMF pour faire pression sur le gouvernement et obtenir des allègements. Et c’est vrai que 30 %, ça fait peur !
Rien sur la péréquation !
Car la motion passe sous silence les dispositifs de répartition de l’effort demandé et les mécanismes de péréquation qui sont en place ! Si la DGF baisse, la Dotation de Solidarité Rurale et la Dotation Nationale de Péréquation augmentent ; d’autre part, les communautés moins riches bénéficient du FPIC (fonds de péréquation intercommunal) mis en place par le gouvernement précédent et dont le montant s’accroît fortement. En 2012, année de la création, l’enveloppe totale était de 150 M€, elle est passée à 360 M€ en 2013, à 570 M€ en 2014 ; elle atteindra 780 M€ en 2015 pour se stabiliser à 2 % des ressources fiscales des communes et de leurs groupements à fiscalité propre (GFP) à compter de 2016.
Plus d’info ici par exemple :
http://www.maires-aveyron.fr/extranet/documents/document.php?ID=544
Ainsi, pour donner des exemples concrets, à partir de l’expérience locale, la Communauté de communes de Questembert avait reçu 114K€ en 2012, puis 274 K€ en 2013. Le FPIC passe à 425 K€ en 2014, et il devrait encore augmenter significativement en 2015 et en 2016. Pour la commune de Questembert, le montant total des dotations (DGF, DSR, DNP) s’élevait à 1670 K€ en 2013 et à 1667K€ en 2014, compte non tenu du reversement de la part de FPIC par la Communauté (57 K€). Voilà un simple exemple qui montre que si l’effort global est important, le jeu de la péréquation vient apporter un peu plus de justice dans le partage des dotations. La contrepartie, c’est que les collectivités privilégiées vont être impactées encore plus fortement.
Il faut savoir que les dotations de l’Etat varient en fonction de la population. Le rapport varie de 1 à 2 selon la taille des communes en faveur des plus grandes. D’autres éléments entrent dans le calcul (la superficie, mais surtout la richesse fiscale des entreprises et des habitants) avec des avantages spécifiques pour les communes touristiques : par exemple, telle commune balnéaire reçoit plus de 500 € par habitant de DGF, telle autre qui a longtemps bénéficié de ressources liées aux industries ne reçoit que 119 €/hab !
Un engagement de réduire les déficits publics
Laissons les chiffres pour nous intéresser à leur fondement politique ; le gouvernement s’est engagé à réduire les déficits publics et l’endettement du pays. Faut-il rappeler qu’en 5 années, le président Sarkozy a ajouté plus de 600 milliards à la dette publique ? Réduire les déficits, cela veut dire baisser les postes de dépenses, dont celui des moyens transférés aux collectivités. Le gouvernement a choisi de demander un effort supplémentaire pour financer le pacte de compétitivité. L’exercice qui nous est imposé est difficile, mais on peut qu’être surpris de voir les gens de droite, grands pourfendeurs de la dépense publique, s’insurger contre cette décision. Et rappelons que l’effort total d’économies ne porte que sur 50 milliards d’euros, tandis que des leaders majeurs de la droite affirment qu’il faudrait atteindre les 100 milliards.
Les attaques des médias ?
Un peu plus loin, la motion proposée demande de soutenir cette formulation : « La commune estime que les attaques récurrentes de certains médias contre les collectivités sont très souvent superficielles et injustes. » En effet, les grands médias de droite n’ont eu de cesse que de critiquer les dépenses déraisonnables des collectivités. Le 3 juin, le Figaro fustigeait « la gabegie des baronnies locales. » Plus près de nous, le Télégramme annonçait le 22 avril 2013, que « les collectivités territoriales vont devoir se serrer la ceinture. Fini le temps où l’on ne regardait pas trop à la dépense ni à l’embauche. » Sans parler des « informations » diffusées par des officines comme les Contribuables associés.
Ils sont aujourd’hui bien mal venus de se plaindre de ces attaques qu’ils ont pour la plupart utilisées pour leurs campagnes électorales dans les villes dirigées par des élus de gauche. On ne devrait pas, quand on est dans l’opposition, dire tout et n’importe quoi, ça rend l’action plus difficile quand les citoyens vous confient la gestion des affaires publiques.
Ne pas voter la motion
En tout cas, même si André Laignel, député maire d’Issoudun, membre du PS, a été signataire de cette motion, j’engage les élus de gauche à ne pas tomber dans l’intox qui sert d’abord les intérêts de la droite plutôt que ceux des communes et autres collectivités.