Jean-Yves Le Drian : « Face à la crise agricole chacun doit prendre ses responsabilités »

INTERVIEW publiée dans Les Échos du 28 janvier 2016 – Le ministre de la Défense et président PS de la région Bretagne réagit notamment à la mobilisation des agriculteurs bretons qui se renforce.

La crise porcine est sévère, la campagne gronde : comment analysez-vous cette situation et comment sortir la filière de ses difficultés ?

Jean-Yves Le Drian.Nous sommes confrontés à une situation d’une gravité exceptionnelle, même si je ne pense pas que les méthodes employées par les manifestants soient les meilleures pour se faire comprendre. Je suis bien conscient de la détresse des éleveurs qui ont fait des efforts considérables et n’en peuvent plus. Mais la réalité est là : le fonctionnement de la filière est devenu caduc face à la crise des prix. Ce n’est pas un événement de plus dans le cycle classique de variation des cours mais un changement profond qui nous interpelle.

La filière doit se réorganiser avec un meilleur partage de la valeur ajoutée et engager les éleveurs dans des activités complémentaires (méthanisation ou fabrication des aliments à la ferme). La mise en œuvre va nécessiter un peu de temps. Comme Stéphane Le Foll l’a indiqué lui-même, chacun doit prendre ses responsabilités, du producteur, qui souffre le plus, aux fabricants d’aliments, aux abattoirs, transformateurs et aux distributeurs. La prise de conscience est là. L’Etat accompagne cette mutation, notamment en continuant à demander à l’Europe l’obligation pour les transformateurs et les distributeurs d’indiquer l’origine des viandes sur les produits transformés. Cela ne résoudra pas tout. Des moyens sont débloqués. L’enveloppe de 181 millions d’euros du plan de compétitivité des exploitations agricoles doit accompagner ces mutations. Chaque cas de producteur en situation d’urgence sera étudié et traité individuellement. Mais c’est bien un plan stratégique pour la filière que j’appelle à construire collectivement en Bretagne.

Vous signez un accord pour la généralisation du très haut débit. Pourquoi cet engagement de la Région dans le numérique?

L’enjeu du développement économique de la Bretagne passe par les connexions, et c’est une volonté collective pour une région périphérique. Historiquement, il y a eu les routes, puis le ferroviaire avec le prolongement jusqu’à la Bretagne de la ligne à grande vitesse pour 2017. Maintenant le numérique.

Autour de ces enjeux, les Bretons ont toujours su s’allier. La Bretagne a mis en place un schéma d’aménagement du très haut débit. Nous signons ce vendredi avec le PDG d’Orange, une délégation de service public. Le groupe sera chargé par les collectivités d’exploiter le réseau en fibre optique en cours d’installation. Les collectivités, l’Etat et l’Europe, financent chacun cette mise en œuvre avec une même philosophie : faire en sorte que chaque citoyen, chaque entreprise puisse avoir un accès égal en terme de qualité de service et de tarif.

Comment ?

L’opérateur assure l’investissement dans les grandes villes qui représentent 10% du territoire et 40% de la population. Pour le reste, l’investissement de 1,5 milliard d’euros est assuré par les collectivités, l’Etat et les fonds européens. Avec là aussi un financement égalitaire. Les intercommunalités prennent en charge un forfait de 445 euros par prise installée alors que les coûts sont bien évidemment variables. La péréquation est assurée par la Région et les départements. L’objectif est que, d’ici à 2030, tous les bretons puissent accéder au très haut débit et ce quel que soit leur lieu d’habitation.

Comme le rappelle Emmanuel Macron l’accès au numérique est un enjeu pour la compétitivité des entreprises. En Bretagne, un protocole spécifique est prévu avec Orange dans le cadre de notre projet. Les PME qui le souhaitent auront un tarif spécifique privilégié qui leur assurera un accès sécurisé et la garantie d’un rétablissement prioritaire en cas d’incident.

Le chômage a augmenté de 6,5% en Bretagne en 2015. Du jamais vu. Quelle peut être la réponse de la Région dotée de nouvelles compétences en matière de développement économique ?

Nous agissons en investissant lourdement dans de grands projets, comme le numérique, en menant la réflexion sur la nécessaire transformation de notre agriculture,. Je m’exprimerai d’ailleurs bientôt sur la crise laitière. Sur le fond j’ai mené ma campagne électorale sur la confiance, c’est-à-dire sur la capacité des Bretons à relever les défis. Le résultat du scrutin a montré que j’avais été compris. Il importe de mettre en œuvre cette nouvelle dynamique. Le territoire a des atouts, à commencer par la qualité et la traçabilité de la production agricole et la capacité de transformation et d’injection de valeur ajoutée de ses industriels. Chaque année, en moyenne 500 millions d’euros d’investissements sont réalisés dans l’agro-alimentaire.

Dans un tout autre domaine, dernièrement, le président de Cisco est venu me voir pour étudier un investissement en Bretagne. Nous misons sur les énergies renouvelables et les éoliennes flottantes. Je considère que c’est la technologie du futur, qui fait appel aux technologies navales sur lesquelles nous sommes bien placés. Nous avons aussi un atout considérable, la cybersécurité. En tant que ministre de la Défense c’est une priorité stratégique et de souveraineté. J’ai décidé d’accentuer considérablement notre effort. A mes yeux, c’est la quatrième armée, après l’armée de l’air, l’armée de terre et la marine. Autour de la DGA à Bruz, la Bretagne dispose d’un pôle d’excellence avec Supélec, l’école des transmissions et un réseau étendu de grandes entreprises, de PME et de start up.

Qu’allez-vous faire en matière de formation ?

Nous voulons prendre ce défi au pied de la lettre, piloter et expérimenter cette nouvelle compétence. J’avais annoncé ma volonté de faire face à cette question lors de la campagne des régionales. Je souhaite que la région se saisisse du plan pour l’emploi proposé par le président de la République la semaine dernière. Nous allons devenir un véritable laboratoire, renforcer considérablement l’apprentissage et la formation. Des annonces vont être faites dans quelques jours ; j’y consacre ma matinée de demain.

Serez-vous à la réunion des présidents de régions avec François Hollande mardi ?

Ce sera mon premier vice-président, Loïg Chesnais-Girard.

Votre double casquette est-elle tenable jusqu’à la fin du quinquennat ?

En 2012, lorsque j’ai quitté la Région pour répondre à la demande du président de la République, j’ai dit aux Bretons que je reviendrai en 2015. J’ai tenu mes engagements. Il se trouve qu’il y a eu fin 2015, les évènements tragiques que vous connaissez. Le président de la République m’a demandé de rester ministre de la Défense aussi longtemps que nécessaire. Je l’ai dit aux Bretonnes et aux Bretons, qui ont pu se déterminer en toute clarté. C’est une période transitoire pendant laquelle, j’ai organisé un système de délégation avec mon équipe pour que cela fonctionne bien.

Même s’il devait y avoir une inversion de la courbe du chômage, l’échec ne serait-il pas déjà consommé ? François Hollande avait promis le « changement » pour « maintenant »…

J’espère que le plan très fort et très structurant qui a été annoncé, qui s’ajoute à toutes les dispositions prise antérieurement, permettra un résultat. Le résultat, il n’est pas pour le président de la République mais pour les Français. Comme président de région, je mettrai tout en œuvre pour que cela puisse aboutir. Comme ministre de la Défense, je m’y applique aussi en ayant des victoires à l’exportation. Grâce aux ventes de Rafale, de FREM et d’armement en général, près de 40.000 emplois vont être créés dans notre pays.

Avec la démission de Christiane Taubira, qui réduit le gouvernement à la ligne Hollande-Valls, le chef de l’Etat se coupe-t-il, selon vous, d’une partie de sa gauche ?

Christiane Taubira a posé cet acte. C’est son choix, sa libre conscience. Mais un gouvernement ne se résume pas à une addition d’individualités. C’est un projet politique et une équipe qui soutient ce projet.

Que répondez-vous à ceux, à gauche, critiquent une politique économique et sécuritaire de droite ?

Le projet développé par le Premier ministre sous l’autorité du président de la République est un projet auquel je participe pleinement sans aucun état d’âme. Je suis bien placé pour savoir que l’enjeu sécuritaire est essentiel en ce moment.

Mais comment François Hollande peut-il espérer rassembler la gauche d’ici à 2017 ?

La vraie question, c’est comment faire en sorte que la France retrouve le chemin de la croissance et assure la force de sa présence dans le monde. J’ai le sentiment que la France est respectée.

Pierre-Alain Furbury / Chef adjoint du service France, Julie Chauveau / Chef de service et Stanislas Du Guerny / Correspondant à Rennes

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