Groupe de travail sur l'Europe
Que nous dit le Brexit ?
C’est peu dire que le résultat final a suscité l’émoi. Pour la première fois dans l’histoire de la construction européenne, un pays, un peuple, a décidé de quitter l’Union. Avec 1,3 millions de voix d’avance, les brexiters ont bruyamment fêté la victoire dans la soirée du 23 juin : le Royaume-Uni allait retrouver sa souveraineté, débarrassé du boulet européen, libre de décider de son avenir.
Au matin du 24, c’était déjà beaucoup moins simple. Dans une réponse confuse à une journaliste, Nigel Farrage, qui comptait parmi les leaders infatigables des pro-Brexit, concédait qu’il était impossible de réattribuer mathématiquement la contribution britannique au budget européen (que Farrage a estimé à 350 millions de livres par semaine) au National Health Service (NHS).
Il n’a pas fallu plus longtemps au camp du « out » pour revenir sur sa promesse phare en matière d’immigration. Dans sa dernière tribune, Joe Cox, députée travailliste de Birstall assassinée le 16 juin, avait averti : « Quitter l’UE ne changera rien ». Ce que concédait très vite et sans gêne Boris Johnson, maire de Londres qui en avait pourtant fait un argument de campagne. Finalement « l’unique changement […] est que le Royaume-Uni va s’extirper de l’opaque et extraordinaire système de législation européenne » .
Alors au-delà d’une campagne mensongère, que restera-t-il de cette décision qui marque, quoi qu’on en dise, l’histoire européenne ?
De grandes voix l’ont dit, le vent du changement soufflera plutôt au Royaume-Uni…
Avec, d’abord, des conséquences économiques. Elles n’ont pas tardé à se faire jour : dès le 24 juin, les bourses s’effondraient, la livre sterling chutait de 9,3% face à l’euro et de 11,5% face au dollar laissant présager des heures difficiles pour un pays où le commerce extérieur représente plus de 60% du PIB. Le FMI n’a pas tardé à livrer ses prévisions, estimant, par la voix de sa présidente, qu’il en coûterait au Royaume-Uni entre 1,5 et 4,5% de son PIB d’ici à 2019. Enfin les agences de notation Standard and Poor’s et Fitch abaissaient la note du Royaume-Uni assortissant la sanction de « perspectives négatives ».
Des conséquences politiques bien sûr. La confusion la plus totale a régné après l’annonce de la sortie. Et personne chez les brexiters ne s’est précipité pour la mettre en œuvre. L’article 50 du Traité de Lisbonne prévoit deux années pour régler les questions inhérentes au divorce. Même si les chefs d’Etat européens et le président de la commission ont fait savoir qu’ils souhaitaient que la séparation soit rapide, les discussions s’annoncent suffisamment complexes pour ne pas envisager une sortie effective tout de suite. Viendra ensuite la question du cadre du nouvel accord UE / Royaume-Uni puis, peut-être, celle des destins écossais, voire Nord-irlandais, où l’on a voté en faveur du Bremain.
Quels changements en Europe ?
Certes la croissance de la zone Euro a été revue à la baisse suite au Brexit mais l’impact économique de la décision britannique devrait rester limité.
L’impact politique, lui, est certain. Difficile à mesurer dans l’immédiat. Mais il est évident qu’en ouvrant la voix de la sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni a parlé au cœur de tous ceux qui voient dans l’UE l’abandon lamentable de leur souveraineté et la pénible obligation de solidarité entre états.
Dès le lendemain du scrutin, le Front national appelait ainsi à la tenue d’un référendum semblable. Et encore une fois, ceux que l’on taxe d’europhiles, voire d’eurobéats, tentaient péniblement de surnager dans le torrent médiatique d’arguments aussi faux qu’ineptes en faveur de la fin de l’histoire européenne.
Comme on aime jouer avec le feu…
L’instabilité – économique et politique – du monde devrait pourtant nous inciter à préserver cet ensemble de 500 millions d’habitants, qui compte 22 millions d’entreprises, est le premier pôle commercial du monde et reste une grande puissance industrielle et agricole. Bien sûr, un pays vivra sans l’Union européenne. Ou plutôt survivra. Qu’aurions-nous à faire valoir indépendamment les uns des autres ?
Michel Rocard nous exhorte à saisir la chance du Brexit
Dans une tribune intitulée « Amis Anglais, sortez de l’Union européenne mais ne la faites pas mourir » , Michel Rocard appelait, en 2014, le Royaume-Uni à la clarté.
Il était convaincu que les blocages de l’Union européenne était le fait des britanniques et que, partant, ils portaient une lourde part de responsabilité dans les échecs successifs de l’UE, dans la prédominance des égoïsmes nationaux, dans la limitation grotesque des actions communes.
Ainsi il voyait dans le départ du Royaume-Uni une (petite) chance à saisir pour l’Europe politique. Celle de peser dans les affaires du monde, sans se limiter à l’économie, mais aussi par la voie diplomatique et par la voie militaire. Les conflits et les tensions au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique nous y obligent. Notre plus grand tort serait de nous exonérer de cette responsabilité.
Cela n’ira pas, selon notre ancien Premier ministre, sans rénover les règles de fonctionnement, sans faire émerger – ré-émerger sans doute – une identité européenne. Le Brexit avait, pour lui, au moins cette possible vertu.
Puisse l’avenir lui donner raison.