Valérie RABAULT – Lecture du rapport de la Cour des comptes en 7 points : un héritage inacceptable ?

Lecture du rapport de la Cour des comptes en 7 points :

Un héritage inacceptable ?

Valérie Rabault, députée du Tarn-et-Garonne, ex-rapporteure générale du budget, rétablit quelques vérités sur le caractère soi-disant "insincère" du dernier budget voté par la majorité socialiste. Article publié initialement sur le blog de Valérie Rabault.

La cour des comptes a publié il y a quelques heures son rapport sur « la situation et les perspectives des finances publiques », et d’ores et déjà le Premier Ministre juge « inacceptable » la situation dont il hérite.

J’ai moi aussi lu ce rapport de la Cour des Comptes, et voici quelques réflexions et commentaires qui découlent de cette lecture et que je vous livre.

1. Le Premier Ministre, Edouard Philippe, s’est empressé de monter au créneau à la lecture du dit rapport, jugeant « inacceptable » la situation décrite. C’est étrange, en 2012 lorsqu’il était député Les Républicains, on ne l’avait pas entendu. Pourtant, au vu de ce qu’écrit la Cour (page 15), il aurait pu s’indigner de la même façon : « la Cour relève que le risque de dérapage du déficit public pour 2017 est du même ordre que celui mis en évidence lors de l’audit des finances publiques en 2012 » (page 15).

2. La Cour prétend que l’Etat n’aurait pas réduit son déficit. Elle fait même de cette affirmation un titre !!! Et puis, si on prend le temps de lire en détail ce qu’elle écrit dans le paragraphe qui suit le titre en question, on découvre qu’en fait les choses ne sont pas si simples parce que « la compensation intégrale par l’Etat des baisses de prélèvement opérées dans le cadre du Pacte de responsabilité par des transferts de recettes à la sécurité sociale et de dépenses de l’Etat conduit à ce que le coût de cette politique [..] est intégralement supporté par l’Etat » (page 27).

En d’autres termes, chaque fois que nous votons des baisses ou des exonérations de cotisations sociales, cela conduit à des recettes en moins pour la sécurité sociale. Or ces recettes manquantes sont compensées par l’Etat à la sécurité sociale.

En résumé, c’est l’Etat qui paie pour les autres…. si la Cour avait été honnête intellectuellement dans son analyse, elle aurait recalculé le déficit de l’Etat sans toutes les compensations qu’il fait à la sécurité sociale. Et là, on aurait observé une véritable baisse du déficit de l’Etat. Peut-être verra-t-on ce calcul dans un prochain rapport….

3. Sur la sécurité sociale, on lit (page 29) : »une diminution des déficits sociaux moindre qu’en 2015″. Grosso modo, elle dit « peut mieux faire ». On peut évidemment toujours mieux faire. Mais si on prend là aussi le temps de lire dans le détail son analyse, on constate qu’elle publie un tableau (page 30) avec l’évolution des déficits de la sécurité sociale… qui ont été divisés par 3 depuis 2012 ! Il faut aller chercher à la fin du paragraphe pour découvrir cette timide phrase « cette amélioration des soldes concerne toutes les branches ». Dommage que la Cour n’ait pas fait de cette phrase un titre…

4. Sur les collectivités locales, là aussi le message me paraît biaisé. Pendant des années, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ont augmenté chaque année entre 2 et 3%. Chacun savait que ce n’était pas tenable, tout simplement parce que les recettes n’augmentaient pas, naturellement, à ce rythme. Du coup, pour suivre cette augmentation de dépenses courantes, il fallait augmenter les impôts.

Or pour la 1ère fois, en 2016, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ont baissé, signifiant qu’elles ont fait des efforts sans précédent. Dans l’esprit de la Cour des comptes, il me semble que ceci aurait dû valoir un César ! Eh bien non, rien de tout cela, cela fait juste l’objet d’un commentaire presque anodin « en 2016, pour la seconde année, les dépenses des APUL [collectivités locales] ont reculé significativement (-0,8% en 2016 après -0,9% en 2015). Cependant à la différence de 2015 où elle provenait essentiellement de la baisse de l’investissement des collectivités locales, la diminution des dépenses concerne également les dépenses de fonctionnement qui baissent de 0,3% » (page 32). Et c’est tout.

5. Sur la baisse des dépenses, la Cour écrit qu’il y a eu « un ralentissement de la dépense réel » (sous entendu par le passé – avant 2012 ? – il n’était pas réel), mais que l’objectif de 50 milliards d’€ d’économies n’a pas été tenu. Page 43, elle présente un tableau très intéressant sur la réalisation de ce plan d’économies, et évoque  le « montant d’économies réalisé, bien que réel ».

La Cour indique que « l’établissement de tout scénario tendanciel, qui sert de référence au calcul des économies, repose nécessairement sur des hypothèses conventionnelles ». Sur ce point, je suis tout à fait d’accord avec elle :

- dans la vraie vie, quand on dit qu’on a économisé par rapport à l’année précédente, cela signifie qu’on a moins dépensé que l’année précédente.

- en matière de finances publiques, la notion d’économie est un peu différente. Si les dépenses publiques de l’année (N+1) sont inférieures aux dépenses publiques de l’année (N) * inflation  + « tendance naturelle », alors on parle d’économie. Donc tout dépend du montant lié à la tendance naturelle (liée au fait que la population française augmente, qu’elle vieillit, etc).

Dès lors, le montant d’économies que la Cour déclare avoir constaté dépend lui aussi de la « tendance naturelle » choisie par la Cour. Autrement dit, si elle choisit une « tendance naturelle » faible, elle minore d’autant les économies constatées. Là aussi, nous aurons l’occasion de lui demander mercredi prochain quelles sont les hypothèses qu’elle a retenues pour sa « tendance naturelle ».

6. Et pour 2017 ? C’est bien cette année 2017 qui fait la Une de la presse, avec l’idée qu’il y aurait pour 2017 un dérapage des finances publiques de l’ordre de 7 milliards d’euros par rapport à ce que nous avons voté en décembre 2016 pour le budget 2017. Ce dérapage porterait principalement sur les dépenses de l’Etat. La Cour présente (page 61) un tableau des ministères qui en 2017 dépenseraient plus que ce qui avait été prévu et voté.

À l’heure où je vous écris, nous n’avons pas d’informations autres que celles proposées par la Cour des comptes, mais je pense qu’on peut faire confiance à ces informations.

Sur la base de ces informations, on constate que les dépassements se concentrent principalement :

    - sur l’agriculture (1,5 milliard d’€ de plus que budgété) : la Cour évoque les conséquences de la grippe aviaire, d’apurements communautaires et du versement des ICHN (Indemnité Compensatrice de Handicap Naturel, que j’ai évoquée à plusieurs reprises sur ce blog)

    - sur le travail et l’emploi (1 milliards d’€ de plus que budgété) : ceci viendrait essentiellement du plan de formation de « 500 000 chômeurs »

    - sur la Défense (800 millions d’€) : ce serait lié à la sous-budgétisation des OPEX (en fait chaque année… depuis toujours… c’est le cas).

Ces dépenses sont nécessaires. Tout le débat (évoqué par la Cour pages 62 et 63) vise à savoir si ces dépenses étaient prévisibles dès décembre 2016, pour être intégrées au budget 2017 que nous avons voté.

Tout le monde évoque ces dépenses en plus … mais personne ne parle :

    - des dépenses en moins (en voie de réalisation ou déjà réalisées). La Cour indique (page 65) que 1,2 milliard d’euros sont déjà en bonne voie de réalisation.

    - de l’argent mis de côté dès le début de l’année. C’est ce qu’on appelle la réserve de précaution. Concrètement, lorsqu’on vote 100 de crédit pour un ministère, le Gouvernement a décidé de lui préciser en début d’année que son budget n’était que de 92, et que pour les 8 restants on verrait au fil de l’année. La Cour précise que la réserve de précaution s’élève à 13 milliards d’euros. Elle écrit aussi (page 66) que « sans préjuger des conditions qui dicteront la fin de gestion 2017, on peut estimer qu’entre 2 et 3 milliards d’€ de crédits pourront vraisemblablement être annulés en cours d’année sans reports de charges et sans contournement de la dépense » (page 66).

Donc si on additionne 1,2 et 3 milliards d’€, on trouve 4,2 milliards d’euros d’économies réalisables ou d’ores et déjà réalisées pour 2017.

En tenant compte de ces chiffres, l’impact des dépenses supplémentaires constatées ne serait pas de 7 milliards d’€ comme on le lit dans la presse, mais de 7 – 4,2 = 2,8 milliards d’€… ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Là dessus, se rajoute certes le risque AREVA lié à sa nécessaire recapitalisation… qui avait été abordé longuement en commission des finances.

Concernant les autres dépenses publiques :

    - sur celles de l’assurance maladie, la Cour écrit que « le comité d’alerte de l’assurance maladie a estimé que le montant des crédits mis en réserve (602 millions €) devrait permettre le respect de l’ONDAM pour cette année » (en d’autres termes, le budget que nous avons voté devrait être respecté d’après la Cour)

    - sur celles liées aux retraites, pas de remarque particulière

    - sur celles portant sur les autres dépenses sociales, « les autres éléments de prévision du compte des administrations de sécurité sociale (ASSO),en particulier ceux relatifs aux autres organismes au sein de ce secteur des administrations publiques, ne comportent pas de risques significatifs identifiés pour 2017 » (page 71).

    - sur celles des collectivités locales : « une prévision de dépenses plausible » (page 71)

Comme toujours, il est regrettable que les points cités ci-dessus ne soient jamais commentés, et qu’on se contente de répéter en boucle une Une à 8 milliards d’euros.

Nous aurons l’occasion d’en redébattre la semaine prochaine en commission des finances.

7. Et 2018 ? 2019 ? 2020 ? La Cour se livre à un exercice qui s’apparente quelque peu à de la prévision. Je ne le commenterai pas, tout simplement parce qu’on ne sait pas à ce stade quelle sera la politique économique du nouveau Gouvernement, dans le détail.

Quant au chapitre III, il propose une réflexion très intéressante sur la gouvernance en matière de pilotage des finances publiques.

Le chapitre IV propose en quelque sorte un catalogue à la Prévert de tout ce qu’il serait possible de « couper comme dépenses publiques »… mais cela ne conduit pas une politique publique d’ensemble. Donc là non je ne commente pas ce chapitre.

Quelques mots de conclusion pour vous dire que je ne comprends pas la tonalité choisie par le Premier Président de la Cour des comptes, Didier Migaud, pour ce rapport d’audit, au regard des éléments contenus et développés par la Cour dans ce rapport. Mercredi prochain, j’aurai l’occasion de lui poser directement la question.

 
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