RAPPORT / Progressive society : « Pour une Égalité Durable » | 2019-2024


Résumé


Redonner du pouvoir au peuple


En tout premier lieu, la Commission Indépendante préconise de redonner du pouvoir au peuple : il s’agit de considérer les citoyens comme des acteurs à part entière de la démocratie et non comme de simples consommateurs, tant au niveau local qu’au niveau européen et de s’appuyer sur les membres des organisations syndicales et sur les personnes engagées de la société civile.

Ce rapport souligne en quoi nos démocraties se sont fragilisées au fil du temps sous l’effet conjugué de la concentration des richesses et du pouvoir économique d’une part et de l’affaiblissement de la démocratie dans le domaine économique suite à l’affaiblissement de la représentation syndicale, d’autre part. Il est nécessaire de mettre fin à cette situation.

Les citoyens doivent être en capacité de lutter pour leurs droits et d’exiger une société plus juste, en particulier sur leurs lieux de travail. Les citoyens doivent être en mesure de demander à leurs élus d’assumer la responsabilité des décisions prises en s’appuyant entres autres sur des processus de décision beaucoup plus transparents.

Le rapport préconise de redonner aux partenaires sociaux, y compris les syndicats, un rôle central par l’adoption, notamment, de nouveaux dispositifs juridiques visant à renforcer les différentes formes de participation des travailleurs dans les entreprises, à encourager la négociation collective, à donner aux partenaires sociaux une place plus importante dans l’élaboration des politiques européennes, et à assurer que le travail faussement indépendant qui prend de l’ampleur dans l’économie dite collaborative (économie des plateformes) n’affaiblisse l’idée même de représentation syndicale.

Plusieurs des recommandations de la Commission Indépendante portent sur la nécessité de renforcer nos démocraties en revivifiant la participation des citoyens dans l’espace public et en élargissant ce qui relève du débat public et citoyen. L’une des recommandations de la Commission Indépendante porte sur la création, à l’image de l’alliance italienne ASviS, d’« Alliances nationales en faveur du développement durable » où toutes les composantes de la société civile peuvent se rejoindre. L’Union européenne se doit aussi d’élaborer des instruments juridiques qui visent à protéger et à renforcer, dans chacun des États Membres, les espaces de dialogue civique et citoyen, et ce sans que les autorités gouvernementales ne puissent y faire obstacle.

Repenser le capitalisme

Redonner aux citoyens le pouvoir d’agir créera les conditions politiques pour repenser le capitalisme. Bien entendu, le secteur privé, en particulier les grandes entreprises, ont également un rôle majeur à jouer dans ce projet en plaçant le principe de durabilité économique, sociale et environnementale au cœur de leurs stratégies de développement. Aujourd’hui, c’est la tendance inverse qui domine : concentration sans fin des profits, prévalence du court terme sur toutes autres considérations, et transfert à l’ensemble de la société des coûts externes, sociaux et environnementaux. L’évasion et la fraude fiscales continuent de sévir, ce qui permet à certaines des plus grandes entreprises mondiales de contribuer de manière insignifiante au paiement de l’impôt. Parallèlement, les secteurs financiers et bancaires continuent de développer des pratiques tellement inappropriées qu’elles déstabilisent nos économies. Parallèlement, celles-ci traversent une révolution technologique profonde liée au développement du numérique, de l’intelligence artificielle et de la robotique. Ces révolutions devraient contribuer à l’amélioration du bien-être de chacun. Or ce n’est pas toujours le cas dans la mesure où, faute d’être suffisamment régulées, elles provoquent aujourd’hui de fortes ruptures sur les marchés du travail et favorisent une plus grande concentration des revenus et des richesses. Afin que les activités économiques relevant du secteur privé prennent mieux en compte les objectifs sociaux et environnementaux, afin qu’elles contribuent équitablement à la redistribution des richesses et des revenus, il convient d’encourager autant que possible de formes nouvelles d’entreprenariat. Cela permettrait de diversifier l’économie, de la rendre plus collaborative et moins obsédée par le court terme et l’optimisation des profits. Cela aurait aussi l’avantage de mettre en lumière les externalités négatives générées par les activités des entreprises au détriment de la collectivité dans son ensemble. C’est évidemment pour cette raison qu’il importe de développer et renforcer un secteur clef comme le secteur de l’économie sociale et solidaire. Mais il importe aussi de faire évoluer le cadre réglementaire en adoptant par exemple le Statut européen des entreprises à but lucratif (European Statute for benefit corporations), statut juridique qui intègre dans l’objet même de l’entreprise à but lucratif la prise en compte de critères sociaux et environnementaux. D’une façon générale, toutes les entreprises quelques soient leurs formes ou statuts devraient rendre des comptes de façon plus systématique sur leurs performances sociales et environnementales. À cet égard, des obligations minimales devraient être inscrites dans la législation européenne et les procédures de passation des marchés publics devraient intégrer les critères de durabilité sociale et environnementale. La collecte de l’impôt sur les sociétés doit être plus efficace et il faut faire preuve de plus d’audace dans l’adoption et le renforcement des initiatives en cours de discussion au niveau européen sur ce point. La Commission Indépendante préconise aussi de renforcer les mécanismes de supervision et de contrôle du secteur financier afin de l’obliger à jouer pleinement son rôle dans le financement de la transition durable ainsi que dans le financement des activités des plus petites entreprises et dans le soutien à la consommation. Il convient aussi de reconnaître et de maîtriser les nouveaux risques qui émergent dans le secteur financier, notamment ceux liés au développement des systèmes bancaires parallèles (« shadow Banking »). Quant aux grandes entreprises qui sont souvent les plus réfractaires à assumer leur responsabilité vis à vis de la collectivité, des règles plus strictes pourraient être élaborées sous la forme d’un « Passeport des entreprises responsables » (Corporate Responsiblity Passeport). Ce Passeport serait obligatoire pour opérer au sein du marché unique. La Commission Indépendante reviendra plus en détails sur cette proposition.

Rétablir la justice sociale

Les mesures visant à redonner de pouvoir au peuple et celles qui contribueront à repenser nos economies doivent être combinées à toute une gamme d’autres mesures ciblant plus précisément la lutte contre la pauvreté et les inégalités les plus criantes telles que celles liées au sexe, au revenu, au patrimoine, à l’origine et au lieu de résidence. La Commission Indépendante estime donc qu’il est impératif de concrétiser l’exigence de justice sociale qui est un objectif fondamental de nos sociétés. Aucun être humain ne doit être laissé pour compte. Il importe que chacun comprenne que nous serons tous perdants si chacun d’entre nous ne peut pas jouir d’une vie décente et d’un bien-être durable. Des mesures doivent être prises pour lutter contre la pauvreté, garantir des emplois de qualité et un salaire décent à chacun, pour assurer l’égalité femmes-hommes dans tous les domaines, pour permettre une véritable mobilité sociale ainsi que pour développer une approche radicalement ambitieuse et renouvelée de lutte contre les inégalités territoriales. La première des propositions en la matière porte sur l’adoption d’un nouveau programme d’envergure pour lutter contre la pauvreté en Europe. Ce programme comporterait notamment des mesures telles que « un système européen de garantie pour lutter contre la pauvreté infantile – Garantie Enfance » , une stratégie européenne de grande ampleur de soutien au logement social, public et abordable pour tous, « un mécanisme européen garantissant un revenu décent « pour toutes celles et ceux qui ne disposent pas de ressources financières suffisantes, « un mécanisme européen pour garantir un plancher en matière de protection sociale » conformément aux recommandations de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et une stratégie d’intégration pour les migrants. Si elle en a la volonté, l’Europe, peut réduire, au cours des 30 prochaines années, de plus de la moitié le nombre de personnes pauvres et précaires et éradiquer totalement la pauvreté avant la fin de ce siècle. Si elle n’agit pas avec détermination, l’Europe sera confrontée au scenario exactement inverse, pauvreté et exclusion sociale continueront à se développer sous l’effet conjugué des risques liés aux ruptures technologiques, la concentration non maitrisée des revenus et des richesses ou encore l’augmentation des inégalités dues à l’environnement.

Au-delà de la lutte contre la pauvreté, il importe également d’adopter des mesures visant à renverser le sentiment croissant de précarité sociale et de fragilité qui touche de plus en plus de citoyens européens, en ce compris une large proportion de la classe moyenne. Le Socle Européen des Droits Sociaux, adopté en 2017, doit être pleinement intégré dans le droit européen et les droits des travailleurs doivent être protégés face au développement des formes nouvelles du travail ou des contrats précaires. Les chômeurs de longue durée, qui, pour la plupart n’ont pas retrouvé d’emploi depuis la crise financière, doivent être soutenus par la mise en place au niveau européen d’ « un mécanisme pour un Droit à l’Activité » (« European Activity Right ») en s’inspirant du modèle de la Garantie Jeunesse déjà adoptée par l’Union européenne. Les bas salaires doivent être revalorisés afin de garantir la fois des conditions de vie décentes à toute les familles qui travaillent et une répartition plus équitable des richesses produites. Pour ce faire, la Commission Indépendante suggère d’adopter un Plan européen en faveur d’un salaire équitable (« European Fair wage plan ») et des mesures visant à redonner un caractère progressif à l’impôt sur le revenu. Il faut également s’employer à réduire les inégalités entre les sexes : l’écart salarial entre les femmes et les hommes peut être réduit par le biais de dispositions législatives ciblées et par le biais de plus de transparence en matière de rémunération mais aussi par l’adoption d’une politique favorisant vraiment l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée s’appuyant sur des droits ambitieux en matière de congés maternité, paternité, congés parental et de congés pour les personnes aidantes. Des mesures doivent également être prises pour améliorer la place des femmes dans la société et encourager leur participation pleine et entière à tous les niveaux. Afin de promouvoir plus de mobilité sociale, il est indispensable de promouvoir des mesures favorisant une éducation de qualité pour tous et des services de garde d’enfants de qualité.

L’inégalité est aussi ancrée dans une large mesure dans nos territoires, là où les gens vivent et travaillent. Pour concrétiser notre exigence de justice sociale et de bien-être pour tous, il est par conséquent crucial de bien mesurer l’impact des décisions prises sur l’ensemble des territoires et d’être plus particulièrement attentif à ceux structurellement « laissés pour compte » et dont le potentiel de développement est gâché. Les politiques actuelles doivent être utilisées de manière plus efficace et plus cohérente au profit de logiques de développement économique régional plus conformes aux exigences liées à la durabilité. La politique européenne de cohésion doit permettre la poursuite des objectifs du développement durable dans tous les territoires et permettre à chacune de nos régions de définir et de concevoir des approches qui sont le plus adaptées à leurs caractéristiques propres, en s’appuyant notamment sur les initiatives portées par les acteurs locaux (CCLD) ou en soutenant les stratégies industrielles locales adaptées et décidées par les populations. La politique européenne de cohésion doit ainsi reposer sur une mise en œuvre dynamique du Code de conduite européen qui prévaut à l’élaboration des contrats de partenariats. Et les programmes européens horizontaux tels qu’Horizon Europe (Politique européenne de la Recherche) ou InvestEU (Soutien à l’investissement dans l’UE), à condition que leur impact territorial soit mieux appréhendé, devraient aussi contribuer utilement à des stratégies de développement définies au niveau local.

La Commission Indépendante a aussi exploré d’autres possibilités pour répondre à cette exigence de justice sociale dans nos sociétés. Elle propose l’élaboration, dans une étape ultérieure, d’une « Charte du Bien Commun » (« Commons Wealth Charter ») pour garantir à chacun le droit de jouir, le plus souvent gratuitement, d’un ensemble de biens et services liés intrinsèquement à la durabilité. La Commission Indépendante approfondira sa réflexion sur cette proposition dans un futur proche.

Bâtir une écologie sociale progressiste

Il sera impossible de redonner une capacité d’action aux citoyens, de refonder nos économies et de répondre à l’exigence de justice sociale pour tous les individus et tous les territoires sans tenir compte du lien de plus en plus étroit entre question sociale et défis écologiques. Il y a un lien intrinsèque entre la planète et les êtres humains mais cette dimension du développement durable a longtemps été négligée parce que l’on a privilégié, d’une part l’idée du développement inclusif (l’interaction entre l’humain et l’économie) et d’autre part « l’économie verte » (l’interaction entrer la planète et l’économie) d’autre part. Le 4ème axe sur lequel la Commission Indépendante a tenu à faire des propositions ambitieuses porte précisément sur la nécessité de bâtir une écologie sociale et progressiste. Les défis environnementaux sont en partie corrélés aux questions sociales, notamment aux inégalités de revenus et de pouvoir. L’inégalité est aussi un défi sur le plan de l’environnement tout comme la détérioration de l’environnement est une question sociale. Les politiques publiques doivent aborder ces deux dimensions conjointement, tant sur le plan des principes que sur le plan institutionnel, en se fondant sur l’idée de justice. Le rapport identifie deux voies principales pour briser le cercle vicieux de l’inégalité sociale et de la destruction de l’environnement et pour au contraire enclencher un cercle vertueux où progrès social et progrès écologique iront de pair. D’une part, la Commission Indépendante a identifié plusieurs recommandations concrètes pour mettre en œuvre le concept majeur de « transition juste », qui devrait occuper une position de plus en plus centrale dans l’élaboration des politiques nationales et européennes. Par ailleurs la Commission Indépendante souligne la nécessité d’opérer une ambitieuse transformation de l’État-providence (tel que défini dans l’ère pré-écologique dans l’après-guerre) en un État socio-écologique du XXIe siècle, conçu comme un outil public puisant au service du développement durable et de la transformation de la société. La Commission Indépendante approfondira sa réflexion sur cette proposition dans un futur proche.

Actionner les leviers du changement

Pour effectivement mettre en œuvre toutes les mesures identifiées dans le rapport, il est indispensable de modifier fondamentalement le fonctionnement et la gouvernance de l’Union européenne. Pour la Commission Indépendante, les leviers du changement passent par une réforme profonde du cadre de gouvernance européen actuel qui repose sur le processus dit du « Semestre européen « et sur le primat du respect des règles en matière budgétaire. Grâce à l’élaboration de règles et de processus décisionnels radicalement nouveaux, les objectifs de développement durable doivent, être au cœur de l’élaboration des politiques européennes. Cette action doit être étroitement combinée avec un approfondissement substantiel et une démocratisation de l’Union économique et monétaire. Il convient aussi de pouvoir disposer d’une stratégie de financement solide à même de garantir des ressources adéquates pour réaliser la transition durable grâce à un nouveau Cadre Financier Pluriannuel (CFP) ambitieux, des systèmes fiscaux nationaux équitables et intégrants la question de la durabilité ainsi que investissements publics conséquents aux niveaux national et européen. La Commission Indépendante formule des recommandations détaillées pour un nouveau cadre de gouvernance favorisant le développement durable, fondé sur un « Pacte du Développement Durable » comprenant un ensemble d’objectifs ambitieux, contraignants et non strictement budgétaires. Cette nouvelle approche permettrait de mesurer les performances économiques pas uniquement à l’aune de l’augmentation du PIB comme c’est le cas aujourd’hui mais sur la base d’un ensemble plus large d’objectifs et d’indicateurs, comme outils d’évaluation global de l’avancée des politiques en faveur du bien-être durable pour tous.

Petit guide de lecture des propositions politiques de la Commission Indépendante

Les chapitres 3 à 7 exposent les nombreuses recommandations politiques élaborées par la Commission Indépendante. Chacune d’entre elles repose sur une ou plusieurs « mesures concrètes » à mettre en œuvre au cours de la prochaine législature du Parlement Européen (2019-2024). Dans chacun de ces chapitres, la Commission Indépendante a également identifié des propositions pour aller plus loin, intitulés « étapes futures », qui pourraient être mises en œuvre à plus long terme. Au final, le rapport détaille 110 propositions politiques et stratégiques (« mesures concrètes » et « étapes futures »). Elles sont rassemblées dans une annexe au rapport et classées par chapitre. À la fin du chapitre 2, la Commission Indépendante présente en 10 points les propositions politiques qu’elle considère les plus radicales et les plus stratégiques pour réaliser le changement profond qu’elle appelle de ses vœux. Le rapport comprend également plusieurs infographies permettant de visualiser les différentes recommandations ainsi que la façon dont elles peuvent interagir entre elles (infographie globale et et infographies spécifiques au début des chapitres 3 à 7).

Vous pouvez partager cette publication :
Pin Share
Retour en haut