La catharsis selon Riss

Réduire le livre de Riss à un cri de colère serait inexact. Si celle-ci y est bien présente, Une minute et quarante-neuf secondes est bien plus riche. Il raconte bien sûr l’abandon dont fut victime Charlie Hebdo avant le 7 janvier et après. Mais au delà, Riss nous parle de sa reconstruction après l’attentat. Reconstruction physique lorsqu’il décrit son passage dans un centre de rééducation en compagnie de soldats blessés de guerre, lui permettant ainsi de relativiser ses propres traumatismes, ou lorsqu’il raconte l’histoire de victimes de massacres rencontrées en reportage dans d’autres pays. La reconstruction psychique est, elle, plus délicate : le sentiment de culpabilité d'être encore en vie, le décalage par rapport à ceux qui n'ont pas connu cette expérience. Riss se décrit en somme comme le chat de Schrödinger : à la fois mort et vivant.

Charlie et ses ennemis

Le directeur de Charlie Hebdo revient aussi sur les mois qui ont suivi le 7 janvier et la transformation rapide de « Je suis Charlie » à « Je suis Charlie mais... » sans compter les « Je ne suis pas Charlie ». Il dresse ainsi une typologie des Non Charlie où l’on retrouve notamment « cette gauche totalitaire [qui] s’est accommodée, selon les époques, du stalinisme, du maoïsme, des Khmers rouges, de la révolution islamique iranienne et aujourd’hui de l’islamisme. Sa haine de la social-démocratie est telle que ses militants sont prêts à suivre toutes les idéologies qui pourraient la déstabiliser, voire la détruire. » Une catégorie qui, comme les autres, explique Riss, aime à utiliser le mot « laïcard », expression forgée par le gourou de l’action française, Charles Maurras. Un détail illustrant la porosité idéologique et la communauté de haines qui rapprochent parfois extrême-droite et extrême-gauche. Riss n’oublie pas pour autant de fustiger les soutiens opportunistes de Charlie, et précisément l’extrême-droite « pour laquelle les caricatures sur l’islam étaient une opportunité de faire l’amalgame entre immigration et religion, et d’accuser une fois de plus les immigrés de tous les maux. [Son]racisme pouvait ainsi s’exprimer sous couvert de liberté d’expression. »

« Le doute, compagnon de route » de Charlie Hebdo

Riss évoque enfin l’incompréhension d’un certain public vis à vis de Charlie Hebdo. L’attentat a suscité un élan de sympathie bien au delà de son lectorat traditionnel. Mais pour ce journal « il sera toujours impossible de faire l’unanimité » du fait même de son ADN satirique. Riss affirme surtout que « le doute est le compagnon de route du journal, ce qui explique pourquoi aucun texte divin ni aucun manifeste politique n’en sera jamais le directeur de conscience ». Il rappelle ainsi que le but premier de la satire est de faire réfléchir, de s’interroger. Le rire est aussi un rapport à la vie, la seule arme dont on dispose face à la bêtise, l’absurdité et la cruauté du monde. Comme le dit si bien Romain Gary dans La Promesse de l’Aube : « L'humour est une affirmation de la dignité, la déclaration de la supériorité de l'homme face à ce qui lui arrive. » Beaucoup d’observateurs l’ont manifestement oublié.

Kevin Alleno

En complément :

 

 

Attentat à Charlie Hebdo : qui sont les 12 victimes, Le Parisien, 8 janvier 2015

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