La démocratie au défi du temps long

Les démocraties vivent une période délicate, chahutées par divers populismes, l’islamisme, concurrencées par des régimes autoritaires sur la scène internationale. La Chine, discrète jusqu’à Xi Jinping, se pose même en modèle alternatif à une démocratie occidentale qu’elle juge décadente. Apparaissant trop souvent comme sa propre caricature, la démocratie doit retrouver le sens du temps long.

Le problème du court-termisme et de l’émotivité du débat

Le court-termisme, qui anime trop souvent notre débat public, quelle que soit l’échelle, n’est pas nouveau. C’est un risque inhérent à la démocratie dès lors que l’ambition d’être réélu peut susciter la démagogie ou le besoin de disposer de résultats rapides que l’on pourra afficher devant les électeurs. La politique du chiffre favorise un tel phénomène en recherchant des courbes et des diagrammes attrayants à même d’aguicher les médias et les électeurs. Trop souvent, en effet, les acteurs des politiques publiques, fonctionnaires comme associations, sont pressés de dégager des résultats efficaces à brève échéance, au détriment d’une action plus pérenne mais moins impressionnante. Cette logique, qui peut apporter des avantages rapidement, se retrouve finalement plus coûteuse pour la société sur le long terme.

L’autre danger est la place prise par l’émotion. Les politiques annoncent une nouvelle loi à chaque polémique, sous la pression de l’opinion. Résultat, on vote de plus en plus de lois, certaines contredisant les précédentes, les autres répétant de manière moins élégante ce qui existait déjà. Et les décrets d’application tardent à venir, quand ils sont rédigés...On observe aussi que la personne qui a raison n’est pas forcément celle qui formule l’argument le plus rationnel mais celle qui aura réussi à se poser en victime, qui aura suscité l’émotion du public. Emotion et court-termisme vont toujours de paire. Ce qui ne veut pas dire que toute émotion est factice ou à bannir.

Réseaux sociaux et chaînes d’infos en continue exacerbent ces logiques. On est dans l’invective, la culture du buzz ou de la phrase choc, sans volonté de construire une réelle argumentation. Il n’y a plus vraiment d’ambition de convaincre. La communication n’est plus au service d’un message politique, elle est le message. Le débat public ne se fait plus au gré des enjeux mais se calque à celui des polémiques, audimat et nombre de clics servant dès lors de critère de qualité. Dès lors, le décideur prend les sujets par le petit bout de la lorgnette et a les plus grandes peines du monde à bâtir les vraies stratégies que commande l’action publique.

Ajouter à cela un individualisme exacerbé qui se traduit par une citoyenneté à forte dimension consumériste. Vous obtenez, au bout du compte, un navire qui zigzague au lieu de suivre un cap bien défini.

L’urgence de retrouver un débat rationnel

Il est donc vital, pour les démocraties, de (re)trouver un débat nuancé qui prenne en compte le long terme. C’est une nécessité du fait des défis auxquels elles font face, et notamment le défi environnemental qui implique une action sur le temps long. Pour cela, il faut replacer la rationalité, donc la science, au cœur de notre débat public. Il faut sans doute que certaines chaînes d’infos en continu cessent de privilégier les personnes qui gueulent le plus fort pour leur préférer des personnes, plus pondérées et peut être moins divertissantes, mais qui maîtrisent le sujet qu’elles évoquent. S’agissant du sujet environnemental et de la nécessité du temps long, il faut se poser sérieusement la question d’une planification en la matière. Certains diront que c’est un gros mot, mais Louis Gallois rappelait dernièrement que la Corée du sud, qui n’est pas réputée pour ses sympathies à l’égard du marxisme-léninisme, avait planifié une stratégie cyber en 2000 qui l’avait amenée à occuper une place de choix au niveau mondial dans le secteur, avec des acteurs comme Samsung et LG[1]. Nombreux sont les enjeux qui nécessitent une stratégie de long terme : Environnement, Recherche, Politique étrangère etc...

Pour relever le défi du temps long, notre démocratie doit changer sa culture du débat public. À la dictature de l’émotivité, du buzz systématique, elle doit privilégier la culture de la rationalité. Au culte de la grande gueule, notre débat public doit préféré celui de l’argumentation, au show celui de la sobriété et de la nuance. Si la démocratie ne s’adapte pas à un rythme plus lent, plus long, de l’action et du débat publics, elle sera en incapacité de répondre au défi environnemental mais aussi à d’autres, comme celui soulevé par des régimes autoritaires comme la Chine ou par le vivre-ensemble.

Kevin ALLENO

[1]     https://www.ouest-france.fr/economie/entretien-louis-gallois-nous-devons-rester-fideles-a-l-heritage-des-lumieres-7153648

EN COMPLÉMENT :

Nos sociétés ont besoin de citoyens comprenant les méthodes de la science », interview d’Hélène Langevin-Joliot, Journal du CNRS, 1er mars 2021

 

 

Hubert Védrine: "C'est la démocratie elle-même qui est en jeu", L'Express, 26 février 2019

Retour en haut