Émilienne Moreau-Évrard, héroïne des deux Guerres mondiales

Le parcours d'Emilienne Moreau-Evrard force l'admiration tant il affiche une constance dans l'engagement et un courage exceptionnels. Ce qui est peut-être le plus fascinant c'est sa capacité à s'illustrer dans un panel d'actions diversifié. Chose rare, aussi, elle s'est distinguée par des actions héroïques pendant les deux guerres mondiales. Ce qui la place indéniablement en très bonne place dans le panthéon socialiste.

La « Jeanne d'Arc de Loos »

Née le 4 juin 1898 à Wingles, Émilienne s’installe avec sa famille en juin 1914 à Loos-en-Gohelle. Son père meurt la même année du fait de privations. Son frère décédera peu après au combat. Elle n'est alors âgée que de 16 ans mais sa jeunesse ne l'empêche pas pour autant d'affirmer déjà un caractère et un courage hors du commun. Dès février 1915 elle créé une école dans une cave pour remplacer l'instituteur parti à la guerre. En septembre de la même année, tandis que les combats font rage pour reprendre la ville de Loos, elle va à la rencontre des soldats écossais pour leur indiquer les positions de l'ennemi. Durant la bataille, Émilienne créé un poste de secours dans sa maison avec l'un des médecins du régiment. Elle participe même aux combats pour défendre le poste de secours encerclé par les Allemands. La ville est finalement reprise par les Britanniques. Émilienne Moreau devient alors « l'héroïne de Loos », ce qui lui vaudra d'être citée à l'ordre de l'armée par le général Foch, de recevoir la Croix de guerre avec palme, la Military Medal, la Royal Red Cross et l’ordre de Saint John of Jerusalem. Un film inspiré de ses exploits est même réalisé par l'australien Georges Willoughby et intitulé The Joan of Arc of Loos. Revers de la médaille, sa tête est mise à prix par les Allemands qui digèrent mal l'action décisive d'une civile. Évacuée, elle passe ses diplômes pour enseigner et finit ainsi la guerre comme institutrice à Paris.

Après la guerre, Émilienne Moreau retourne dans le Pas de Calais où elle reprend la boulangerie d'une de ses tantes. Elle épouse en 1927 François Fournier dont elle est veuve rapidement. Elle entre à la SFIO en 1930. Elle épouse quelques années plus tard, en 1934, Just Évrard Secrétaire général adjoint de la fédération SFIO du Pas-de-Calais et s'installe avec lui à Lens. Elle devient aussi dans la séquence secrétaire générale des femmes socialistes du Pas-de-Calais. Multi-médaillée sur le plan militaire, elle ne reçoit la légion d'honneur qu'en 1937, lorsque le Front populaire est au pouvoir.

Agente de liaison dans la Résistance

Au lendemain de l'Armistice, les Allemands se souviennent encore de ses exploits de 1915 et la placent en résidence surveillée, chez sa mère, à Lillers. Ne pouvant supporter la situation, elle obtient de pouvoir revenir à Lens auprès de sa famille. Authentique militante, elle commence rapidement à distribuer des tracts contre l'Armistice et le régime de Vichy. Elle relance aussi de manière clandestine avec son mari la section SFIO de Lens. Ils prennent également contact avec les services de renseignement britanniques pour leur fournir des renseignements, entrant ainsi clairement dans la résistance. Le couple diffuse des tracts et des journaux clandestins socialistes comme L'homme libre, La IVe République et La Voix du Nord. Son mari est arrêté en septembre 41 avant d'être libéré en avril 42. Il décide alors de passer en zone non occupée. Émilienne l'y rejoint et intègre le réseau Brutus ( de la France libre) et le comité d'action socialiste créé par Daniel Mayer. Elle s'illustre sous les pseudo « Jeanne Poirier » ou « Émilienne la Blonde » comme agent de liaison avec la Suisse, Marseille, Paris ou Toulouse.

En octobre 1943, elle intègre le mouvement La France au Combat au sein duquel elle côtoie des personnalités comme Augustin Laurent, André Le Troquer et Pierre Lambert. Elle échappe en 1944 à plusieurs rafles et notamment l'embuscade de mai 1944 où les Allemands l'attendaient chez elle. Ils mitraillèrent alors son domicile mais elle réussit à s'échapper par les caves. Traquée par les Nazis et contrainte à la clandestinité, elle doit alors se teindre les cheveux et multiplier les noms d'emprunt pour s'en sortir. Elle est finalement exfiltrée à Londres le 7 août 1944. C'est elle qui annoncera d'ailleurs la libération de Paris sur l'antenne de la BBC.

Dirigeante socialiste et héroïne républicaine

Émilienne Moreau rentre en France en 1944 et décide avec son époux de remonter les sections socialistes du Pas de Calais. Pour son action, elle est décorée par le général de Gaulle de la Croix de la Libération le 11 août 1945. Il n'y eût que 6 femmes à recevoir cette distinction dont Berty Albrecht, cofondatrice du mouvement Combat, morte à la prison de Fresnes en 1943, Laure Diebold, agente de liaison du réseau Mithridate et secrétaire de Jean Moulin, déportée, Marie Hackin, chargée de mission, disparue en mer en février 1941, Marcelle Henry, du réseau d'évasion VIC, morte à son retour de déportation et Simone Michel-Lévy, de la résistance P.T.T., morte en déportation.

Après la guerre, Émilienne Moreau, auréolée de son action héroïque dans la résistance, intégra les instances nationales du Parti (la commission féminine nationale de 1944 à 1946, le comité directeur de la SFIO de 1945 à 1951 et de 1952 à 1963). Elle s'échina à chaque fois à défendre la cause des femmes. Présidente de la fédération du Pas-de-Calais des anciens combattants républicains, elle fut nommée également à l'assemblée de l'Union française en 1947 jusqu'à 1958 mais ne se présenta jamais aux élections. Malgré son prestige, elle se contenta de soutenir son époux qui fut élu député.

Elle décéda le 5 janvier 1971 alors qu'elle venait de publier ses mémoires. Émilienne Moreau-Évrard fut de celles et ceux qui permirent au Parti de survivre, à la France de se relever et à la République de renaître. Quelque peu oubliée aujourd'hui, elle n'en demeure pas moins une héroïne républicaine au même titre que Suzanne Buisson et Pierre Brossolette.

Kevin Alleno

EN COMPLÉMENT :

Émilienne Moreau, l’héroïne de Loos, Article de Laurent Lagnaud, 8 août 2016, Opex 360

 

Retour en haut