La Chine : modèle économique, ennemi politique?

Il faut reconnaître que le développement économique accéléré de la Chine depuis trente ans a de quoi faire réfléchir. En 2001, le PNB chinois correspondait à 39% du PNB américain calculé en parité de pouvoir d’achat ; en 2008 il en représentait 62%, en 2016 114%. La deuxième économie du monde serait-elle en train de rattraper, et bientôt de dépasser les États-Unis ?
Quel changement géopolitique considérable !
Et ce dans bien des domaines.

Depuis 1980, 800 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. Depuis 1990, le nombre de touristes chinois a été multiplié par 500 ; ils dépensent 250 milliards de dollars par an (deux fois plus que les touristes américains) alors même que 5% seulement des chinois ont un passeport. Un tiers du commerce du luxe dans le monde est acheté par les Chinois. Et cet essor sans précédent est en train d’entraîner dans sa foulée l’ensemble de l’Asie.

L'affirmation politique de la Chine

Un grand nombre d’institutions internationales se sont formées ces dernières années au sein desquelles la Chine joue un rôle clé : la Banque de développement asiatique, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Union économique eurasienne, les sommets des BRICS, le Partenariat trans-pacifique, le Partenariat économique régional global, etc. Joint à tout ceci, on trouve des objectifs clairs, une volonté politique d’affirmer la présence chinoise dans tous les domaines. La mieux connue s’appelle les Routes de la soie : depuis qu’elle a été annoncée, en 2013, elle a coûté 1000 milliards de dollars investis dans 1000 projets dans, à ce jour, 80 pays. En 2015, la Banque chinoise de développement déclara vouloir dépenser 890 milliards de $ pour des infrastructures permettant l’import/export vers et de la Chine, incluant un pont ferroviaire sur l’Amou-Darya inauguré en mars 2017 par les présidents du Turkmenistan et de l’Ouzbékistan, une ligne de chemin de fer directe vers l’Iran, et l’énorme complexe du port de Gwadar, au Pakistan. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Amérique latine, et il y a plus d’étudiants africains en Chine qu’aux États-Unis ou qu’en Grande-Bretagne. Le déficit commercial américain par rapport à la Chine se monte désormais à 375 milliards de $. Enfin, la Chine met l’accent sur les hautes technologie, elle envoie des satellites vers la face cachée de la lune, créé un campus pour l’intelligence artificielle à Pekin coûtant 2,2 milliard de dollars, et de même à Xian.

Plus globalement, les contributions de la Chine au budget régulier de l'ONU et au budget du maintien de la paix augmenteront grandement au cours des trois prochaines années, représentant respectivement environ 12% et 15,22% du total. Le pays deviendra le deuxième plus grand contributeur, dépassant le Japon, et la Chine continuera à être le deuxième plus grand contributeur au budget de maintien de la paix de l'ONU pour 2019-2021. Plus les États-Unis se retirent, plus la Chine, au contraire, avance, dans toutes les directions, en Iran comme à l’ONU.

Sur le plan militaire, il en est de même : des bases militaires ultramodernes ont été crées de toutes pièces dans les îlots des Paracels, des Senkaku et des Spratley, dans les différentes mers autour et au sud de la Chine. Plus étonnant encore, alors que les dirigeants chinois avaient toujours dit qu’ils ne construiraient jamais de bases militaires à l’étranger, attitude typique selon eux des grandes puissances impérialistes, voilà qu’ils en construisent une grande à Djibouti, qui est certes sur la ligne commerciale menant au canal de Suez, mais qui est tout de même bien loin de la Chine. Et un officiel chinois a déclaré qu’il y en aurait d’autres, afin de rivaliser avec les Américains. C’est que les Chinois ne se cachent pas de vouloir égaler la puissance militaire américaine sur mer et ailleurs, le rattrapage étant prévu pour 2049, année des 100 ans du pouvoir communiste. Et de fait, rien que ces quatre dernières années, la Chine a construit l’équivalent de toute la marine française. La formation militaire chinoise est de plus en plus agressive, le journal de l’armée de libération n’hésitant pas à dénoncer la « maladie de la paix ». Il en va de même pour les exportations d’armes, avec l'achat de sous-marins d’attaque chinois par le Pakistan, pays qui a déjà testé le Babur-3, un missile de croisière à capacité nucléaire. D’ores et déjà, on peut dénombrer à tout moment au moins 8 et jusqu’à 14 navires de guerre chinois dans l’océan indien.

Une certaine apathie occidentale

Et si, comme disait Mao, le pouvoir était au bout du fusil ? Bref, selon une formule qui a fait mouche, sous Deng, la Chine est devenue riche ; sous Xi, elle est en train de devenir forte. Certes, l’économie chinoise traverse actuellement un trou d’air, relatif d’ailleurs : un peu plus de 6% de croissance seulement, ce qui devrait faire rêver les occidentaux. Mais la réponse chinoise, c’est d’augmenter encore l’effort d’investissement : 6 800 kilomètres de nouvelles lignes de chemin de fer devraient voir le jour cette année, (dont 3 200 km de TGV), contre 4 683 km l’an dernier. Deux personnalités se sont inquiétées de l’essor chinois et de l’absence de réaction des autres puissances, au point de mettre l’occident en garde publiquement : l’ancienne ministre des affaires étrangères de Bill Clinton, Madeleine Albright (la bannière de la démocratie pourra-t-elle continuer à flotter ?) et Sigmar Gabriel, alors ministre allemand des affaires étrangères, dont le discours a été repris récemment dans un excellent documentaire d’Arte.

Car, vous l’avez compris, les Chinois planifient. Ils planifient, l’économie, ils planifient l’essor militaire. Ils planifient l’espionnage industriel. Et en face, en Occident, que fait-on ? Il semblerait que l’Occident se satisfasse de laisser faire les lois du marché, qui planifiera pour nous, sans effort, par l’effet d‘une baguette magique invisible. Et ce même en France, sous Macron, alors même que la France a bien montré que la planification souple avait très bien réussi quand il s’agissait de reconstruire la France après la guerre, qu’elle avait permis la construction de barrages en nombre, puis d’autoroutes, puis de centrales nucléaires, bref d’infrastructures, tout comme les grands travaux de Mitterrand et de Jacques Delors, avec le tunnel sous la Manche. Aujourd’hui, il n’y a rien que passivité et laissez-aller, et « que les riches s’enrichissent » !

La dictature comme modèle ?

On devrait peut-être s’inspirer davantage des succès économiques et sociaux chinois, et tâcher de rattraper notre retard avant qu’il ne soit trop tard. Car la Chine est aussi une menace. L’arrivée au pouvoir au sein du parti communiste, méthodiquement programmée, de Xi Jinping sous prétexte de la lutte contre la corruption (populaire dans l’opinion et facile à mettre en oeuvre, puisqu’elle est omniprésente), a entrainé la purge de cent généraux, 170 ministres ou vice-ministres, 4000 officiers de l’armée, 1,5 millions de cadres du parti. Les prisonniers politiques se comptent par centaines de milliers, sans parler des Ouïgours musulmans. Le pouvoir de Xi est total, et il vient d’être nommé président à vie. Les documents internes du Parti font état de trois ennemis : la démocratie, les droits de l’Homme et la liberté de la presse (cette dernière aussi sous le prétexte des abus, incontestables par ailleurs, des réseaux sociaux de type Facebook).

Le danger est d’autant plus grand que rien ne semble être fait aux États-Unis comme dans l’Union européenne, pour sortir les économies occidentales de leur torpeur, et donner aux Occidentaux un grand projet. Face aux avancées économiques chinoises et au danger politique qui en découle, la balle est bien dans le camp occidental. Nos dirigeants sauront-ils relever le défi ?

Axel QUEVAL

EN COMPLÉMENT :


REPLAY TABLE RONDE / FJJ :

L'Europe entre les États Unis et la Chine 

Vidéo 1 / Première table ronde : L’égocentrisme américain


Vidéo 2 / 2ème et 3ème table ronde : L’expansionnisme chinois et Pour une Europe « politique »


Le PS et la Chine des années 1950 aux années 1980 : Des "regards" aux "relations politiques", note de Kaixuan LIU pour la Fondation Jean Jaurès, 12 février 2019

« La "solution chinoise" plaît aux dirigeants qui n’aiment pas qu’on leur fasse la leçon », Interview de Nadège ROLLAND, sinologue, Libération, 18 octobre 2017

 

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