C'est le genre de livres que l'on dévore et dont on se surprend à relire des passages de-ci de-là une fois terminé. Relativement court, écrit sous forme de vers, sans ponctuation, il relate le travail quotidien en usine. Son auteur, Joseph Ponthus, travailleur social de formation ayant quitté l'est de la France pour suivre son épouse à Lorient, est contraint de travailler en intérim à l'usine faute de trouver dans son domaine. Il décrit avec sobriété et poésie l'âpreté mais aussi les (rares) moments de joie du travail en usine. Il raconte comment l'usine marque les corps des ouvriers et comment elle les poursuit jusque dans leur temps libre.
« J'en chie mais à l'usine on se tait
C'est le week-end
Je ne sais pas dormir
À cette heure-ci je devrais être sur ma ligne
Il devrait me rester deux heures de boulot
Deux heures de boulot de merde
De chaîne
De ligne
C'est le week-end
Je devrais reconstituer ma force de travail
C'est à dire
Me reposer
Dormir
Vivre
Ailleurs qu'à l'usine
Mais elle me bouffe
Cette salope »
« J'ai mal à mes muscles
J'ai mal de cette heure de pause où je devrais être
mais où je ne suis pas
En fumant ma clope chez moi
Je suis encore à l'usine »
L'auteur raconte aussi la solidarité entre ouvriers, leurs petites astuces pour mettre parfois quelques fruits de mer de côté. Il nous montre surtout un univers de tâches automatisées qui éreinte les personnes et où seule la rémunération vient apporter un quelconque sens. Il cite Marx à l'occasion, dont le concept d'aliénation apparaît d'ailleurs d'une cruelle actualité. Bref, Joseph Ponthus nous fait vivre l'usine.
« L'usine est
Plus que tout autre chose
Un rapport au temps
Le temps qui passe
Qui ne passe pas
Éviter de trop regarder l'horloge
Rien ne change des journées précédentes »
La lecture de ce livre vaut toutes les études et discours sur la condition ouvrière. Il nous démontre également que les artistes, qu'ils soient écrivains, cinéastes, acteurs, sont beaucoup plus efficaces en signant des œuvres de qualité que des pétitions de salon donneuses de leçons. Joseph Ponthus prouve en outre que la littérature n'a pas besoin de la complexité pour être belle. Au contraire, c'est la simplicité, la sobriété qui permet de toucher à l'universel et quelque part à la beauté.
Kevin ALLENO
EN COMPLÉMENT :
Joseph Ponthus : «Peut-être l’épreuve de l’usine s’est-elle substituée à celle de l’angoisse» https://t.co/fydYRuzmj6 pic.twitter.com/pbC7FweI8J
— Libération (@libe) January 19, 2019
https://twitter.com/GrandeLibrairie/status/1135531334917677057