Collaborateur de Pierre Mauroy lorsqu'il présida l'Internationale socialiste, Axel Quéval nous livre sa vision de l'homme et du responsable politique qu'il côtoya durant de nombreuses années.
Imaginez un seul instant que la France en 2019 se dote d'un Premier ministre qui, non seulement ne soit pas énarque ou haut fonctionnaire, mais dont le père était instituteur, qui soit lui-même militant syndical à l'UNSA, professeur d'histoire-géographie dans l'enseignement supérieur technique, issu d'une école normale d'apprentissage, marié à une institutrice et qui nationaliserait les banques et les grands monopôles industriels, qui augmenterait les congés payés, réduirait la semaine de travail, augmenterait les impôts pour les riches, ferait baisser l'âge de la retraite et mettrait en place une réforme du Code du travail dont tout le monde, unanime, reconnaîtrait immédiatement qu'elle favorise les salariés. Impensable ? Eh oui, la France a bien changé depuis 1981, quand Pierre Mauroy devint le premier Premier ministre de François Mitterrand.
Un homme politique local, national et international
Mais en plus de ces qualités qui firent de lui un dirigeant national de premier plan, n'oublions pas qu'il fut aussi un très grand maire de Lille pendant 28 ans. Une longue période de transformation pendant laquelle il en fit une des plus belles villes de France, et le cœur des voies de communication entre Londres, Bruxelles, Paris et Cologne. Il fut aussi président de l'Internationale socialiste pendant sept ans, au cours desquels la vénérable institution s'élargit considérablement en dehors de son pré-carré en Europe occidentale tant en direction des pays de l'est de l'Afrique que de l'Asie.
Un profil visionnaire
Durant sa longue carrière, Pierre fut un visionnaire, avec toujours un temps d'avance sur la plupart des autres. Il fut un des rares à la SFIO à comprendre que les socialistes avaient besoin de François Mitterrand comme chef, puis qu'il fallait continuer le rassemblement du côté de la CFDT avec les assises du socialisme. Il fut aussi un des premiers à militer pour l'environnement (avec notamment la création de l'agence pour les économies d'énergie, dirigée par Edmond Hervé). Un des rares dans le Nord à comprendre que la fin inéluctable des charbonnages nécessitait de créer à Lille un nœud de communications ultramoderne et performant reliant les voisins européens afin d'attirer une nouvelle génération d'entreprises et assurer le plein épanouissement des anciennes. Un des rares, aussi, au sein de la mouvance socialiste européenne à comprendre que nos valeurs devaient être portées sur les cinq continents malgré les différences de civilisation.
Tout le monde se souviendra également qu'il avait vu venir d'autres évolutions, notamment lorsqu'il déclara, excédé, pendant la campagne électorale de Lionel Jospin que le mot « ouvrier » n'était quand même pas un gros mot.
J'ai vu récemment ma collègue qui avait travaillé dans son secrétariat parisien toute sa vie et je lui ai demandé : « Imagines-tu Pierre Mauroy rallier Macron ? La réponse fusa : « Pas un seul instant »
Les valeurs qu'il porta si longtemps, à la fois de détermination et de modestie (ses vacances annuelles à Hardelot, loin, très loin du bling-bling), sa volonté de poursuivre parallèlement une action forte au niveau local et de grandes réformes nationales, l'affirmation fondamentale de sa foi dans l'égalité sociale, jointe à un sens inné du compromis positif, sont plus que jamais nécessaires. C'est pour cela que son héritage perdurera.
Axel Quéval
En complément :
Pierre Mauroy et les militants socialistes, Article de Denise Cacheux pour l'Institut Pierre Mauroy
Archives de la semaine : 1968, de nouvelles photographies inédites !
Des portraits de Pierre #Mauroy dans son bureau Cité Malesherbes à Paris, et la réunion du bureau politique de la #FGDS avec notamment François #Mitterrand. https://t.co/03BVmbj4eT #ArchivesSocialistes pic.twitter.com/kipqzg3pGT— Fondation Jean-Jaurès (@j_jaures) November 27, 2018
https://twitter.com/j_jaures/status/1120600255425335296