Plus que jamais, l’axe franco-allemand

DesignRage/Shutterstock

Nous avons tellement été habitués depuis une soixantaine d’années à entendre parler de l’axe franco-allemand, que nous n’y prêtons plus guère attention. Et cependant, il s’agit d’une très grande nouveauté, à l’échelle historique, qui n’a sans doute pas encore porté tous ces fruits.

En effet, depuis la mort de Charlemagne et le partage de son empire entre ses petits enfants, avec à la création entre la France et l’Allemagne d’une Lotharingie instable qui incluait la Hollande, la rive gauche du Rhin avec la Belgique, l’Alsace et la Lorraine, et l’Italie du Nord, la plupart des guerres en Europe se sont centrées autour de la concurrence entre la France et  le monde germanique pour savoir qui l’emporterait dans le partage des dépouilles. Sans parler des deux guerres mondiales qui ont porté ce conflit à son exacerbation. Imaginons un seul instant que pendant ces 1200 années, la France et l’Allemagne aient voyagé de concert!

L’axe Franco-allemand, moteur historique du renouveau européen

Et pourtant, quand Guy Mollet, devenu Président du Conseil, a accueilli le chancelier allemand Conrad Adenauer dans les jardins de Matignon, première manifestation claire du nouvel axe,  pour mettre au point de futur traité de Rome, naissance de l’Europe unie, les réticences d’une partie de la classe politique étaient grandes, pour ne pas parler des attaques virulentes des communistes. Quand le général de Gaulle a repris à son compte la même politique avec le même Adenauer en signant le traité de l’Elysée, on c’est pourtant rendu compte qu’une nouvelle ère était née.

L’axe franco-allemand a littéralement porté le renouveau européen et la reconstruction d’une nouvelle Europe, non coloniale, garante d’une politique de paix et de développement malgré (ou à cause de) la guerre froide. Il a survécu aux incroyables tergiversations du Royaume anciennement Uni vis-à-vis de l’Europe, aux pressions multiples de l’Union soviétique et de la Russie ou des Etats-Unis, aux crises économiques.

Il faut dire que les deux pays sont assez complémentaires. La France apporte une présence internationale, déjà, sur le plan strictement linguistique (le français seule langue de travail avec l’anglais aux Nations-Unies, implantation du français sur les cinq continents), sur le plan politique (une des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU), sur le plan militaire (nucléaire, conventionnel et spatial). Et même si son économie reste trop faible, la France a encore de nombreuses multinationales performantes dans de nombreux domaines. L’Allemagne, de son côté, reste la quatrième économie mondiale (la France arrive derrière à la cinquième place), et l’excédent de son commerce extérieur fait l’envie de tous, hors la Chine. En particulier, la force de l’industrie allemande reste considérable, même si sa place relative décline. Enfin, la création de l’euro a été du pain béni pour la France: adieu la menace de l’inflation, les crises de la balance des paiements, les dévaluations constantes. La différence des taux d’intérêts pour emprunter sur les marchés internationaux est descendu à quelques dixièmes de pourcentage, et ces taux sont devenus négatifs pour les deux pays (on nous paie pour pouvoir nous prêter, étrange mais vrai).

Tout ceci explique sans doute qu’l n’y a que peu d’opposition dans nos deux pays à l’axe franco-allemand. En France, il n’y a guère que Jean-Luc Mélenchon et LFI qui s’y oppose avec une grande constance (il a tweeté une fois « maul zu » a l’adresse de la chancelière allemande, expression allemande particulièrement vulgaire signifiant ferme ta gueule). Marine Le Pen attaque aussi souvent la politique allemande, même si c’est de façon plus policée. Sinon, il s’agit d’un des rares consensus politiques français. En Allemagne, le consensus est encore plus grand, il n’y que l’AfD qui a déclaré clairement qu’il n’en avait rien à faire, de la France et de l’axe franco-allemand. Pour des nostalgiques du troisième Reich, cela donne froid dans le dos. Donc, globalement, un très grand consensus.

Le néolibéralisme, facteur de l’enlisement de la construction européenne

Et pourtant, malgré les efforts des uns et des autres, aujourd’hui, l’Europe ne se porte pas bien, et pas seulement à cause du Covid. La bureaucratie bruxelloise, peu encadrée par les politiciens européens, semble toujours autant hors-sol (voir la désastreuse négociation vaccinale), la force de persuasion ou de négociation vis-à-vis de la Russie ou des Etats-Unis est trop faible, et son rôle dans le monde est remis en question.

Alors, nous sommes-nous trompés? Sûrement en partie quelque part, mais où?

A bien y regarder, le principal responsable de l’enlisement européen semble plutôt être la prévalence de l’idéologie libérale qui a lentement mais sûrement empoisonné les esprits depuis l’ère Thatcher- Reagan. « L’Etat, c’est mal », donc très peu d’initiatives, pas de planification, pas d’anticipation. Prenons les accords de Schengen: une fois signés, il n’y a eu aucune prospective sur les conséquences des accords, notamment pas de création d’un corps européen de contrôle des frontières, ce qui fait qu’à la première crise grave, ces accords se sont effondrés. Sur le plan militaire, même constat : l’Europe de la défense n’avance pas, ou si peu. Et l’élargissement rapide à l’ensemble de l’Europe de l’est a rendu encore bien plus compliqué toute prise de décision. Or, on constate le plus souvent que c’est sous la pression des Britanniques que les mauvaises décisions ont été prises : élargissons, élargissons, faisons une vaste zone de libre-échange, ne créons surtout pas un centre de décision fort au niveau pan-européen, mantra des gouvernements britanniques de toute couleur politique. Le départ du Royaume désuni de l’Union devrait donc permettre, enfin, à l’axe franco-allemand de peser plus lourd  et à l’Europe d’avancer.

Les défis pour l’axe franco-allemand

Cela veut-il dire qu’avec l’Allemagne et la France décidées à poursuivre la construction européenne, il sera facile d’aller de l’avant? Pas forcément. Il serait tout-à-fait faux de penser que l’axe franco-allemand est une conséquence du fait que les Français et les Allemands sont proches dans bien des domaines. Cela a été vrai par exemple concernant la fermeté nécessaire vis-à-vis de l’URSS pendant la guerre froide, ou l’hostilité vis-à-vis de l’invasion américaine de l’Irak par G W Bush. Mais sur bien des sujets, rien n’est moins vrai. Il arrive même souvent que les positions des deux pays soient assez, ou même carrément, divergentes. Ce qui fait l’originalité de l’axe franco-allemand, ce n’est pas que les deux pays soient proches, c’est la force de la volonté politique de trouver une solution aux divergences, sur une longue durée, désormais de 60 ans! Cela forge une confiance réciproque dans les opinions publiques des deux pays : les Allemands pensent que la France est leur meilleur allié, et les Français pensent que l’Allemagne est le leur.

Ce capital de confiance réciproque est  fondamental, et c’est en partant de là que nous devons approfondir encore l’axe essentiel de l’Europe pour parvenir à une réelle indépendance stratégique de l’Europe dans tous les domaines, sans bien sûr compromettre nos alliances par ailleurs.

Cela étant dit, il faut avoir conscience que, dans le climat de concurrence mondiale exacerbée d’aujourd’hui, il ne faut pas que la France baisse sa garde. Elle sera d’autant plus écoutée en Allemagne qu’elle arrivera à surmonter certaines de ses faiblesses. Notre économie reste faible, la France (et bien sûr l’Europe) a besoin non seulement d’un plan de relance, mais aussi, enfin, d’une planification souple comme celle mise en place pour la reconstruction après 1945, pour faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés : la numérisation, le réchauffement climatique, le déclin relatif de l’Europe, etc… Elle doit mieux éduquer sa population, notamment en langues étrangères. La place de l’allemand en particulier ne cesse de régresser. M. Blanquer ferait certes mieux d’intensifier l’apprentissage des langues vivantes plutôt que celle des langues mortes (sans compter que l’on enseigne le grec en France comme une langue morte, alors qu’elle est bien vivante, parlée par deux des pays de l’Union européenne: un comble, mais significatif d’un repli sur le passé plutôt que sur l’avenir!).

En tout cas, il est clair que si nous souhaitons continuer à protéger nos citoyens des aléas du monde moderne, à participer de façon active et significative au développement durable dans un monde pacifique, il n’est de meilleure recette que d’intensifier l’axe franco-allemand.

Axel QUEVAL


SOMMAIRE :



EN COMPLÉMENT :


Allemagne : une puissance nommée Merkel ? - Le dessous des cartes | ARTE, Février 2021


François Mitterrand, Allocution au Parlement européen sur la relation franco-allemande et la paix, 1995


La Tribune de... Hubert Védrine - Les relations franco-allemandes, Mai 2014


Quelle est la place de l'Europe dans la compétition spatiale internationale ?, IFRI, Janvier 2021

 

Retour en haut