Pourquoi l’hémicycle est-il vide ?

"La loi a été votée dans un hémicycle quasi-vide". Cette phrase est devenue un classique de la vie politique française reprise ad nauseam par des journalistes en mal d'inspiration. Ce qui ne manque pas ensuite de nourrir les commentaires des citoyens accusant leurs parlementaires d'être des feignants. Or, il y a plusieurs explications à ce phénomène.

L'existence de plusieurs séances en même-temps

Il faut savoir tout d'abord que le travail de l'Assemblée nationale ( c'est pareil pour le Sénat) se répartit en commissions thématiques. Un parlementaire va donc être amené à se spécialiser dans un domaine. Par exemple, à Lorient, le député, de par la composition de la circonscription, siège généralement à la Commission de la Défense. Les projets (à l'initiative du Gouvernement) et propositions de lois (à l'initiative d'un parlementaire) sont discutés au sein de la commission spécialisée. La complexité de plus en plus accrue des législations est l'une des causes de cette spécialisation des parlementaires. Après l'examen en commission, le texte est discuté dans l'hémicycle. Le plus souvent on retrouve les mêmes amendements, les mêmes arguments avec un soupçon de théâtralité en plus. Et il n'est pas utile qu'il y ait 500 députés pour discuter ce texte. L'enjeu principal est que le rapport de force soit respecté. De toute façon, si l'opposition venait à faire un coup et à faire adopter un texte non voulu par  la majorité, celle-ci s'organiserait pour le rejeter ensuite. Cela n'aurait donc aucun effet. S'il y avait 500 députés, les 3/4 s'ennuieraient car non spécialistes du sujet et ils seraient inutiles dans la mesure où non spécialistes ils ne pourraient rien apporter au débat. D'ailleurs, les députés de la majorité non spécialistes, mais contraints d'être présents pour assurer la majorité, ne peuvent s'empêcher parfois d'intervenir et font le plus souvent chuter le niveau général de la discussion.

Un débat à 500 députés ne créerait que de la cacophonie

Ensuite, si l'on contraignait les députés à être spectateurs de tous les débats, c'est autant de temps qu'ils ne passeraient pas à défendre leurs dossiers. C'est à dire que lorsqu'ils ne sont pas dans l'hémicycle, les parlementaires peuvent être soit en réunion dans leur commission (il y a plusieurs réunions en même temps à l'Assemblée) ou en groupe de travail, soit dans les ministères pour défendre des dossiers de leur circonscription, soit sur le terrain à visiter les forces vives de leur territoire ou à recevoir des citoyens. Donc, vouloir que les parlementaires soient présents pour chaque texte, même ceux qu'ils ne maîtrisent pas, conduirait à une baisse de l'efficacité du travail parlementaire et à une présence moins importante sur le terrain.

Il serait bon ainsi que certains journalistes apprennent le fonctionnement des assemblées parlementaires. Je n'ose imaginer qu'ils font exprès de ne pas le connaître... Il y a beaucoup de choses à dire sur la manière dont se comportent nos politiques et sur la qualité de leurs débats. Mais cette critique apparaît, elle, bien injuste.

 

Kevin ALLENO

 

En complément :

La réforme de la procédure parlementaire, Note de Bernard Rullier pour la Fondation Jean Jaurès, 9 octobre 2017

 

Refaire la démocratie, Note de Philippe Quéré et Dominique Raimbourg pour la Fondation Jean Jaurès, 22 décembre 2017

 

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