Discours d’Olivier Faure, Conseil national du 9 juin 2018

Chers camarades,

Il y a deux mois se tenait notre congrès d'Aubervilliers. Deux mois pendant lesquels chaque jour a été pleinement consacré à préparer cette renaissance qui nous lie et nous mobilise.

Ce Conseil National en donne le coup d'envoi.

Il y a maintenant la nécessité que chacune et chacun d’entre nous prenne sa part d'une feuille de route exigeante, innovante, cohérente, qui va nous sortir de nos habitudes et, parfois, de nos certitudes. Il n'y a plus de zone de confort.

Le parti socialiste doit changer et il va changer !

Non pas que nous aurions forcément failli. Mais, assurément, nous avons déçu.

Faute d’imagination, nous avons donné le sentiment de l'épuisement d'une pensée. Pensée féconde dans le cadre des Etats Nations, mais insuffisante et souvent impuissante dans la mondialisation et face aux grands défis de la modernité.

Cette crise de la politique affecte toutes les familles de pensée qui ont gouverné sur le continent.

L’incapacité à imaginer le monde d’après la chute du Mur, l'affaiblissement des options collectives et régulatrices portées par la gauche, ainsi que la défiance suscitée par les orientations libérales des droites européennes, ont ouvert les portes du pouvoir à la démagogie et au populisme xénophobe.

En Hongrie, en Pologne, en Autriche, en Slovénie, les populistes ont pignon sur rue.

En Allemagne l'AFD creuse son sillon avec près de 100 députés qui n'hésitent plus à claironner que le nazisme est un détail de leur histoire...

Pour la première fois, en Italie, l'un des six pays fondateurs de l'Union européenne, une alliance qui paraissait baroque il y a quelques semaines, vient de se nouer entre le mouvement 5 étoiles et la ligue du Nord.

Et je n’oublie pas le score de l’extrême droite au second tour de la présidentielle en France.

Rappelant cela je ne souhaite agiter aucune menace commode. Je veux en revanche nous rappeler à notre propre responsabilité.

Comment susciter à nouveau l'enthousiasme autour d'une Union européenne, que les Français ne veulent pas quitter, mais en laquelle ils ont cessé d'espérer ?


Ce sera l'enjeu de notre premier chantier qui s'ouvre aujourd'hui sous la présidence de Christine Revault d'Allonnes et Emmanuel Maurel.

Il se conclura par un vote ouvert à tous les Français à la mi-octobre.

D'ici à cette échéance, les lieux de discussion, de confrontation, doivent se multiplier : réunions publiques, cafés débats, points-rencontres sur les marchés... Tout doit être envisagé pour impliquer nos concitoyens dans ce débat que personne ne mènera comme nous.

Des pro-européens, c'est vrai, il y en a d'autres. C'est heureux et ce n'est pas nouveau. Giscard était pro-européen. Il n'était pas pour autant Mitterrand.

Emmanuel Macron est aussi pro-européen, c'est incontestable. Mais lui souhaite sauver Bruxelles, nous nous voulons sauver l'idée européenne !

L'Europe ne peut se résumer à un marché. Il faut faire l‘Europe jusqu’au bout c'est-à-dire sociale, écologique, démocratique, sinon les populistes en viendront à bout.

Nous devrons prendre tous les grands défis, un à un. Frontalement. A commencer par le défi environnemental, énergétique, climatique.

Nous sommes les artisans de l'accord historique de la COP 21, les auteurs de la loi de transition énergétique, les inventeurs du concept même de développement durable, notre parti se réclame de la social-écologie, qui mieux que nous peut rendre l'Europe "green again" !?

C'est pour valoriser ce combat que le 29 juin, nous organiserons une rencontre au cirque d'hiver avec de très nombreux leaders socialistes européens, chefs de partis, maires, et le nouveau président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez devrait normalement nous y rejoindre.

Pedro Sanchez jusqu'ici moqué, à la tête d'un PSOE condamné à la disparition. Mais c'est autour de lui, de son parti qu'est venue la riposte crédible ! C'est autour de lui qu'un gouvernement qui compte plus de femmes que d'hommes va maintenant donner un nouveau cours à la politique espagnole !

La gauche européenne est en crise. Comment le nier ?

Mais pourquoi ne pas voir que, partout où elle se réinvente, elle reprend des couleurs, voire gouverne à nouveau avec succès comme avec notre camarade Antonio Costa au Portugal !

Nous allons donc redéfinir notre projet européen.

Nous débattrons ensuite avec nos partenaires dans le cadre du Parti Socialiste Européen. C'est aussi ce qui nous distingue de nos concurrents.

Nous avons des alliés.

Nous ne sommes pas ambigus.

Nous ne nous projetons pas dans une alliance confuse de tous les opportunismes.

À Lisbonne lors de son congrès le PSE a rejeté l'idée d'une grande coalition.

Nous sommes une force.

Celle à laquelle les citoyens européens doivent un modèle social unique au monde. C'est à nous de le défendre et de le moderniser.

Défendre le modèle social, écologique, démocratique. Parlons-en !

Pourquoi sommes-nous dans l'opposition à Emmanuel Macron ? Parce que nous n'aurions pas avalé un hold-up électoral ?

Ce serait une motivation bien dérisoire.

Un an après le grand BLUFF que fut le slogan sur l’"en même temps", qui peut entretenir le moindre doute sur la nature du pouvoir?

Politique fiscale au service de la rente et qui va amnistier jusqu'aux exilés fiscaux ; Priorités budgétaires qui négligent et méprisent nos services publics ; Déconstruction du droit du travail;

Politique migratoire qui durcit les conditions d'accueil des réfugiés du droit d'asile ; Mesures sur le logement qui figent les ghettos ;

Abandon des quartiers ;

Ambigüité sur la laïcité ;

Coupes claires programmées des aides sociales ; Privatisations annoncées ;

Renoncements permanents sur les sujets environnementaux...

C'est la droite qui est au pouvoir !

À l’Elysée, un président libéral.

À Matignon et à Bercy, un juppéiste, un sarkozyste et un lemairiste font sous Macron ce qu’ils auraient accompli avec Juppé, Sarkozy ou Fillon.

Quant à l’Intérieur, Gérard Collomb a fait son « benchmarking » : entre Cazeneuve et Pasqua, il a choisi Hortefeux...

N'en jetez plus !

Eh bien si ! Emmanuel Macron n'est pas seulement libéral, il est vertical...

Là où la gauche porte dans ses gènes le dialogue avec les représentants des salariés, le président pratique le monologue social.

Là où nous prônons l'équilibre entre exécutif et législatif, là où nous défendons la décentralisation, le président cherche à concentrer dans sa seule main, tous les pouvoirs.

Là où nous cherchons à garantir la liberté de la presse, le gouvernement accumule les menaces au travers des lois sur les fake news ou relative au secret des affaires.

Le ni-ni d'Emmanuel Macron c'est : ni social, ni démocrate ! Le macronisme est une mystification.

Présenté comme un « dynamiteur » E. Macron est surtout un dissimulateur.

Comme tous les illusionnistes, il a besoin de faire diversion pour réduire et détourner l'attention de l'opinion. C'est pour cela qu'il valorise les oppositions pour peu qu'elles soient radicales et si possible caricaturales parce qu'elles lui permettent de revêtir les habits de la modération.

Jupiter libéral versus Jupiter radical !

C'est le match qu'Emmanuel Macron installe, parce qu'il le sert. Chaque appel inopérant au "déferlement" ou à la "marée" lui permet de démontrer que depuis l'Olympe Jupiter domine les éléments.

Alors notre responsabilité est là.

Des millions de Français attendent une gauche capable non seulement de s'opposer, mais aussi de proposer une alternative crédible.

C'est ce que nous avons commencé à faire depuis un an avec les groupes parlementaires - merci Valérie, merci Patrick - en présentant nos contre-projets.

C'est ce que nous avons développé avec nos propositions de lois.

C'est le sens des chantiers que nous allons ouvrir au cours des trois prochaines années.

Pensons-nous y parvenir seuls ? Non !

La perspective de rassembler la gauche et les écologistes reste la nôtre. Mais cela ne se fera que sur les bases d'un réalisme assumé par tous.

Le courage, ce n'est pas simplement de s'opposer.

Ce n'est pas davantage de se présenter comme toujours plus radical.

Le courage c'est de revendiquer ce que l'on pourra tenir, quand tant d'autres se complaisent dans des discours sans lendemain parce que leur ambition est moins de faire que de dire.

Et puis enfin, le courage, quand on est de gauche, ce n’est pas d’enjamber les syndicats pour s’adresser au peuple sans autre intermédiaire que son corps tribunicien.

La gauche, son histoire et son apport, c’est le dialogue, c’est le débat et c’est le compromis dans l’intérêt général qui prépare le prochain combat, le prochain droit, le prochain progrès.

La France a besoin du retour d'une gauche de transformation. Vraiment de gauche et vraiment réaliste.

Mais la confiance des Français se mérite.

Retrouver leur confiance, cela suppose d'abord de tirer les leçons de l'exercice du pouvoir et de dire ce que nous avons compris de notre défaite.

En 2012 nous détenions l'exécutif, la majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat, la quasi-totalité des Régions, une majorité de départements.

Cinq ans plus tard, il nous a fallu vendre Solferino.

Entre les deux, cinq années se sont déroulées. Il faut les revisiter si nous voulons nous relever.

François Hollande vient de sortir un livre.

Je lis ici ou là que son succès de librairie pourrait nous irriter.

Comme s'il était dans la nature d'un socialiste de s'inquiéter du succès d'un autre socialiste ?

Je veux vous dire mon état d'esprit. Le travail esquissé par François Hollande est utile.

Son audition par la Fondation Jean Jaurès, nous l'avons souhaitée ensemble.

Qui pourrait comprendre que nous nous livrions à un inventaire du quinquennat sans recueillir la parole de celui qui en fut l'acteur principal ?

Mais la part de vérité de François Hollande n'épuise pas le sujet. Est-on toujours le meilleur juge de soi-même ?

C'est pourquoi, parallèlement au travail entrepris avec la fondation Jean Jaurès, les secrétaires nationaux conduiront, dans leurs champs de responsabilité, leur travail d'inventaire notamment à travers leur propre calendrier d’auditions.

Je souhaite que les premiers signataires de chaque texte d'orientation du congrès, puissent désigner en leur sein, les camarades qui pourront participer à ce travail collectif.

Les Français de métropole, d'outre-mer, de l'étranger eux-mêmes seront appelés à donner leur lecture de notre bilan.

Chaque texte d'orientation sera invité à remettre ses propres conclusions qui viendront nourrir le rapport final.

Au terme de ce travail nécessaire, je prendrai la responsabilité d'exprimer au nom de notre parti les enseignements de la période.

Je le ferai avec pour seule exigence, la justesse.

Celle qui reconnaîtra nos erreurs et rendra justice à nos réussites.

De même qu’il n’y a pas d’imagination sans mémoire, il n’y a pas de volonté sans lucidité.

Je le ferai avec une seule ambition, celle que nous soyons entendus par les Français car notre objectif est qu'au-delà des lecteurs, nous retrouvions nos électeurs.

Je veux le souligner : cette démarche politique est inédite dans la démocratie française – aucun autre parti ne s'est jamais livré à un tel exercice.

Quand tant d'anciens candidats sont dans le déni, nous choisissons, NOUS, de relever le défi.

Dès à présent nous entamerons également une longue série de chantiers qui doivent nous conduire à nous repenser. Thème par thème.

Nous partirons de ce que vivent nos concitoyens. Comment grandir en s'épanouissant ?

Comment vivre pleinement et travailler dignement ? Comment vieillir sereinement ?

Comment participer à la démocratie activement ?

L'objectif est clair : redonner toutes ses couleurs au réformisme.

Faire réapparaître une gauche de transformation sociale, écologique et démocratique. Nous le ferons via la plateforme numérique.

Mais nous devrons d'abord le faire avec les acteurs territoriaux, avec les acteurs sociaux, avec les syndicats, les entrepreneurs, les artistes, les intellectuels, les ONG, les associations, les citoyens qui le souhaiteront.

Avec tous ceux qui, par leur expérience de terrain, peuvent nous aider à mettre la société en mouvement pour la changer.

Le moment est venu de nous reconnecter à tous ces Français qui désespèrent de ne plus se sentir représentés, à ces syndicalistes, ces associatifs, ces citoyens qui ont continué à réfléchir sans nous et qui ne nous vivent plus comme le débouché évident de leurs revendications.

Prenons le risque de sortir de nos murs, de nous laisser interpeller, bousculer et montrons-leur qu’à nouveau ils pourront espérer avec nous.

Se réinstaller dans le paysage politique prendra du temps.

Il n'y a pas de formule magique, pas davantage qu'il n’y a de magiciens.

La première étape c'est d'expliquer notre démarche à ceux qui sont les plus proches de nous.

C'est pourquoi je vous propose qu’avant la fin du mois de juin, nous organisions dans chaque section une opération "apéro de la renaissance" avec nos sympathisants.

La seconde étape, c'est de retrouver les places des marchés.

Un tract national, personnalisable par les fédérations qui le souhaitent, sera disponible dès la semaine prochaine.

Il dira ce que nous sommes : des "opposants-proposants" et il invitera à participer à nos chantiers.

Il sera accompagné d'une affiche : "il y a un président des riches, il faut un parti pour tous les autres".

Je prolongerai un tour de France des services publics en me rendant à la rencontre des personnels des hôpitaux et des EPHAD, comme je l’ai fait jeudi matin à l’hôpital de Périgueux et hier à celui de Melun.

Tous nos élus et militants seront invités à aller à la rencontre de ces femmes et de ces hommes que le pouvoir stigmatise quand il devrait leur témoigner sa reconnaissance.

Car notre renaissance repassera par les territoires.

C’est ma conviction profonde. Car c’est là que nous faisons au quotidien la démonstration des politiques de gauche qui innovent pour changer la vie des Françaises et des Français.

C’est dans les territoires qu’est notre force et c’est donc par les territoires que nous renaitrons.

C’est pourquoi la bataille des municipales doit se préparer dès à présent. J’en donnerai les premières grandes orientations cet été à La Rochelle à l’occasion du séminaire des élus de la FNESR.

Nous donnerons à ceux qui porteront la bannière socialiste les moyens de le faire avec ambition et détermination.

À la rentrée, après cette phase de réinstallation, nous accélérons encore.

Nous inaugurerons notre nouveau siège à Ivry-sur-Seine le 21 septembre. Quelle date !

Au lendemain de Valmy et à la veille de la proclamation de la République, c’est l’anniversaire de l’abolition de la royauté en France.

Comme pour tous les recommencements, ce sera une fête !

Dès le lendemain, et les trois week-ends qui suivront, une université de rentrée se tiendra dans ces nouveaux locaux.

Des militants de toutes nos fédérations pourront s'y retrouver et se former.

Ce nouveau siège, je le veux ouvert !

Un lieu d'effervescence où pourront se mêler les jeunes, les artistes, les créateurs, les élus, les militants.

Le siège sera équipé de manière à permettre à tous en métropole, mais aussi outre-mer et à l'étranger, de suivre les auditions essentielles et nos principaux évènements sur Internet.

Ce lieu doit devenir une ruche studieuse, laborieuse et prometteuse !

Nouveau siège, nouvelle plateforme participative, nouvelles idées issues de nouveaux chantiers... Nouveaux statuts aussi !

Nous définirons ensemble d'ici au 15 décembre ce à quoi doit ressembler un grand parti au XXIème siècle.

Alors vous me direz que cela fait beaucoup. Ce qui n'empêchera pas d'autres de dire que ce n'est pas assez.

Si nous étions tous d'accord, nous ne serions plus au Parti Socialiste !

Tout ne peut pas changer tout de suite !

Mais je ne serai plus moi-même si je ne vous disais pas que depuis longtemps nos querelles byzantines ont lassé les militants et désespéré les Français.

La renaissance est d'abord une attitude.

Il ne s'agit pas de parler d'une voix unique, mais de porter une parole commune.

Dans toutes les fédérations, dans tous les territoires je rencontre des militants, des élus, des sympathisants désintéressés, qui sont prêts pour la reconquête.

Mais je ne laisserai personne étouffer leur espérance.

Nos valeurs nous y consacrons nos jours, nos nuits, nos vies.

Je ne nous laisserai pas nous égarer dans d'insupportables jeux d'appareil nourris par des postures. Je ne laisserai pas non plus le conservatisme nous gagner parce que certains voudraient que jamais rien ne change.

Il y a un chemin. Maintenant il faut la volonté.

Il y a un espace. Maintenant il faut de l'audace.

Je compte sur chacune et chacun d'entre vous. Chers camarades, au travail !

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